mercredi 30 octobre 2013

Julien Donada et ses visionnaires



 Il faut dire combien c'est une bonne nouvelle que l'édition en DVD du dernier film de Julien Donada :
Les visionnaires.
Je vous avais annoncé sa sortie en salle sans pouvoir faire une critique puisque je n'avais pas vu le film mais maintenant c'est fait et vous pourrez tout à loisir, dans votre salon, inviter toutes ces personnalités que nous aimons tant ici sur ce blog, architectes qui ont fondé, inventé une utopie ou du moins, tenté de former (la forme) une nouvelle architecture.
D'abord, il y a une évidente surprise à voir toutes ses têtes, tous ces visages. Je dois avouer que je croyais bien que malheureusement cette génération (en fait deux) avait pour la plupart disparu...
Alors soudain, ceux qui m'ont offert des rêves, ceux qui ont bousculé ma vision d'un monde futur, ceux qui ont analysé une situation historique sont là, dans l'intimité souvent amusante de leur propre monde.
Et ils prennent la parole avec la même ferveur, la même fougue, on croirait que tout pourrait démarrer à nouveau même si, et c'est sans doute l'articulation la plus forte de ce film, la fête est finie et que, chacun tente de définir ce qui n'a pas pu passer de ces idéaux, de ces fantaisies et tente l'analyse de la société et du métier d'architecte dans notre époque.
L'ennemi était Le Corbusier. On pourrait facilement penser à les écouter que c'est cet héritage qu'il fallait dilapider. L'après-guerre dans son opportunité à tout repenser, tout remettre en cause, a sans doute reconstruit mal, sur des fondements gauches d'un modernisme trop mal diffusé mais aussi, en France en tout cas, aux mains d'organisations sociales et politiques ne permettant pas de faire le vrai bouleversement moderne. Mais là où le film trouve une vraie justification c'est bien dans la révélation de grands écarts entre tous ces "utopistes" n'ayant pas les mêmes références, histoires et influences. Peu de choses en commun finalement entre un Claude Parent et Superstudio. Le premier prend appui sur le corps, les seconds surlignent les errements contemporains presque apocalyptiques.
Ce qui est curieux c'est que le vocabulaire de ces utopistes est bien celui de jeunes gens réalistes faisant une analyse solide de l'architecture, de son fonctionnement, de ses nouveautés techniques. Et, que ce vocabulaire, l'air, la nature, la technique, l'industrie est le même que celui de leurs aînés qui n'arriveront pas à faire des formes nouvelles et surtout n'arriveront pas à repenser des rapports humains nouveaux que ce soit dans la cellule familiale ou dans son extension sociale et politique.



C'est bien plus souvent cela qui pousse nos visionnaires à inventer des formes extrêmes à la limite de la définition de l'architecture dont, sans doute l'exemple de Hans Hollein (d'un humour extraordinaire) est la pointe la plus fine. Le voir arriver en avion (mobilité et mécanique) gonfler sa cellule de plastique (air et lumière) pour s'asseoir par terre (structure) au milieu de l'aéroport  et ainsi dessiner une maison le téléphone à la main (réseaux sociaux) est sans doute l'un des moments les plus aboutis mais aussi le plus juste de là où on en est de la radicalité de cette génération qui hésite entre l'impalpable et l'hyperstructure (Superstudio). D'ailleurs, comme ses camarades, la seule chose vraiment oubliée par ces utopistes est bien la question de l'énergie. Aucun n'envisage que son coût et son mode de production viendront freiner les élans les plus fous. Car, il faut bien alimenter l'hélicoptère de Guy Rottier, et la soufflerie de Hollein...
Ainsi dans un montage joyeux et éclairant, allant de documents d'époque (des trésors !) à des interviews serrés, Julien Donada fait bien son travail, celui de faire venir la parole, de laisser les hésitations et les langues dire les jubilations d'une espérance et les regrets de la marche ratée.
Pas pour tous… Et certains, cigares gigantesques à la bouche sont fiers aujourd'hui dans des couloirs chics et lumineux de montrer au réalisateur leurs dernières créations. On voit alors le cadre du film refuser de nous montrer ces maquettes et rester sur l'architecte, comme si Julien Donada, devant sans doute l'incroyable retour de bâton de l'histoire, voulait surtout maintenir son regard sur les hommes qu'ils furent plus que sur les architectes qu'ils sont devenus… Les démiurges sont ainsi, ils faut aussi qu'ils mangent, et qu'ils construisent.
Quelques noms d'architectes qui témoignent : Guy Rottier (oui !), Yona Friedman, Claude Parent, Peter Cook, Andrea Branzi, Gianni Pettena, Archigram, Archizoom et Coop Himmel(b)lau.
Le DVD est aussi un bel objet éditorial avec un très joli petit livret.

Les visionnaires, une autre histoire de l'architecture.
Film de Julien Donada.
Petit à Petit, Production.





mardi 29 octobre 2013

Boules Master Fuller


















Dans un hall surdimensionné parcouru dans ses étages en gradins par des coursives, un monorail passe...
Comme si de rien n'était.
C'est que nous sommes chez Walt Disney dans l'hôtel du parc d'attractions en Floride. Nous avions déjà suivi ce monorail ici passant devant la sphère superbe marquée par l'architecture de Buckminster Fuller. Mais en voici une autre représentation :



Quel objet !
La géosphère est superbe. On ne sait pas si ce type d'objet est de l'architecture mais je crois bien qu'il s'en moque ! Bien plus proche de l'animation foraine, du bibelot de luxe pour ranger ses cigares, ou de l'hérésie signalétique d'un parcours de golf, la sphère ici fait bien son travail de fabricant de bouches bées.



"Oh !" doit être la seule fin de ce type de construction. Et je fais "Oh !" avec tout le monde car ce type de jouet architectural me ravit aussi ! Comment ne pas aimer cette boule à facettes qui reluit d'une propreté hygiénique si américaine, comme si elle était passée au chiffon tous les matins. Le Epcot Center est fabriqué pour l'espoir d'une technologie triomphante, un avenir radieux, la joie d'être avant tout le monde dans le monde de demain… Mais voilà, ce demain c'est aujourd'hui et il semble bien que les monorails circulent peu dans ce monde et traversent bien peu aussi des boules de métal argenté et des halls d'hôtels ultra-modernes… Qu'importe ! Je continue à y croire, désespéré mais certain, que ce qui portait notre génération vers cet avenir, n'est mort que dans le réel et reste présent dans nos espoirs. Rêver finalement c'est bien la seule chose raisonnable à faire avec Walt Disney...
Et le soleil se couche aussi à Toronto :



La carte postale TravelTime dont George Hunter est le photographe nous montre une autre sphère cette fois dans la "Ontario Place".
Elle aussi, prise dans un parc d'attraction dont l'avenir est l'objet (comme quoi...) elle semble sans doute bien moins majestueuse que celle de Disney. Pas de monorail ici, la sphère ne semble pas non plus totale puisque légèrement écrasée à sa base, elle ne manque pas, de nuit, d'une certaine beauté. Pourtant depuis cette autre carte postale du photographe Ramon Stinger on devine un accès un rien complexe fait d'une passerelle métallique qui me semble un peu lourde et peu… magique.



La boule est un objet qui se voudrait parfait mais il faut bien la remplir, la pénétrer, l'habiter, la visiter. Et la foule ainsi gérée dans l'intérieur de la forme parfaite ne laisse aucune occasion de jouir pleinement de cette forme absolue...



lundi 28 octobre 2013

Vaisseaux très spatiaux


Dans un noir et blanc légèrement pastel, une grosse machine architecturale prend la pose.
Nous sommes devant la piscine de Wuppertal, piscine est un mot un peu léger pour parler de complexe aquatique. La photographie magnifie la piscine, et fait bien travailler sa forme dont la lecture est aisée. Les bassins au centre et les gradins du public de chaque côté, gradins qui déterminent depuis l'extérieur la forme de l'ensemble et qui nous rappellent un peu la piscine de Monsieur Filliatre à Longwy.



Nul doute que le grand pan de verre laissant apparaître le plongeoir doit donner beaucoup de lumière à ce volume également ouvert en haut des gradins. On voulait surement être dedans-dehors, garder à la nage son caractère de sport de plein air...
On trouvera facilement le nom de l'architecte : Freidrich Hetzelt. Sur ce site, vous pourrez tout aussi facilement voir quelques belles images de l'intérieur de cette piscine.(Swimmoper).
En France et de loin :



Si le premier plan de cette carte postale nous laisse croire que les passagers de l'Entreprise de Star Trek ont débarqué sur terre pour entamer un chant intergalactique, et que le sous-pull de couleur vive est bien un accessoire indispensable à l'accord vocal, c'est bien ce qui se passe au fond de l'image qui nous intéresse.



On retrouve la très belle soucoupe volante de Saint-Nazaire que nous aimons tant ici. On s'amusera que "les amis de la chanson" dont P. Pauvert fait la direction du chant aient choisi cet objet comme décor à leurs vocalises et on est d'accord avec eux pour jouir de ce bel ensemble.
Cela produit une sorte de choc intrigant, jouant ainsi des images et nos chanteurs semblent bien être descendus du vaisseau spatial pour entamer un chant de Paix universel Klingon avec Monsieur Spock.
Le Palais des Sports de Saint-Nazaire est bien une star que nous devons à Messieurs Vissuzaine, Longuet et Rivière, architectes. On trouvera ici des manières de revoir ce chef-d'œuvre au milieu d'autres vaisseaux intergalactiques.



samedi 26 octobre 2013

À Joinville-le-Pont, tous deux nous irons

Il y eut d'abord le saisissement d'une espace en noir et blanc puis sous ses arches gigantesques, une admiration sans faille pour la technique du lamellé-collé.



Nous sommes à Joinvillle-le-Pont dans le Hall d'athlétisme grâce à une carte postale Real-Photo dont le photographe est Jacques Pezé. La carte fut expédiée en 1965.
Les petits personnages donnent bien l'échelle de cette construction dont, si le dessin en est simple, simplicité d'une grande beauté dans laquelle seul l'exploit technique fait espace. Une architecture technique, sobre faite d'un besoin à combler, où la nécessité fait loi.
Une cathédrale de l'effort physique.
Encore :



Sur cette carte postale toujours depuis une photographie de Jacques Pezé cette fois aux éditions Cicéro, on peut surtout admirer la succession des 23 arcs en lamellé-collé que l'on doit à l'entreprise Bermaho pour le compte de l'architecte G. Bovet. Une fois encore, je vous laisse juger de la taille de l'ensemble par la présence d'un personnage… 89 mètres de portée entre les points d'appui...
Un tel exploit technique ne laissa pas Architecture d'Aujourd'hui indifférente et la revue offre une double page à cette réalisation spectaculaire en 1964.
On y apprend que les arcs ont voyagé par la route en convoi exceptionnel… on aurait aimé voir ça !
Tout cela donne envie d'aller faire du sport, de tout donner, à fond, à fond, allez, plus vite, plus haut, plus fort ! Comme si l'architecture des sports devait elle aussi, montrer ses limites, bander ses muscles !











mercredi 23 octobre 2013

Les Turbulences sont au Centre


Et voilà ! Il fallait que cela arrive !
La première carte postale du F.R.A.C Centre est enfin entrée dans ma collection. Inutile de dire ici que c'est tout naturel en somme.
Comment une institution mettant autant en avant la question de la représentation de l'architecture pouvait-elle y échapper ! Merci Claude pour cet envoi.
Je vous le dis tout net, je n'ai vu les Turbulences du F.R.A.C Centre que de l'extérieur et encore en chantier. Et, il est vrai qu'il est difficile depuis une image ou même une coquille vue du dehors de parler d'architecture. Vous me direz avec raison que c'est justement ce que je fais sur ce blog, toujours hésitant à parler des images et à démontrer leur puissance.
Alors voilà :



Voilà comment le F.R.A.C Centre se représente depuis ce média populaire. La photographie est de N. Borel (de la famille de Monsieur Borel, le grand architecte ?). On y trouve bien l'une de ces Turbulences qui s'élève vers le ciel un peu comme des Volcans vectorisés de Niemeyer au Havre. On s'étonnera de la température de l'image photographique un rien mauve sans doute produite par un soleil bas. On voit aussi comment cette forme à vocation à faire signe et même logotype puisque reprise totalement (et facilement) justement dans la communication du F.R.A.C. Centre.



J'aime bien ce travail des architectes Jakob et MacFarlane et surtout j'aime leur très émouvant et sobre monument du Val de Reuil que je considère comme un petit chef-d'œuvre. Ici, ce qui m'avait séduit lors de ma visite de chantier c'était surtout la manière dont l'ensemble est attaché au sol, comment il semble vouloir s'en élever comme une main sous une nappe. Et faire signe (au sens premier !) c'est bien aussi nécessaire pour ce type de programme. Rien de grave à cette tentation ici.
Fêtons-donc l'ouverture de ce nouveau lieu plein de promesses et de trésors ! Je viendrai dans le réel marcher sur cette image.
Et comme Claude est généreux, il en profite pour m'expédier aussi une carte postale reproduisant une œuvre de Claude Parent et Paul Virilio et éditée par le F.R.AC. Centre :



Les Turbosites II de 1965 donnent ici toute leur ampleur et me reviennent à l'oreille les paroles de Nicolas Moulin prononcées lors de sa conférence rappelant les qualités Vaudou de l'architecture. Comme il a raison ! Et comme j'aime cette architecture aussi pour ces qualités.
Écoutez Nicolas Moulin ici :

cliquez sur l'image pour lancer la vidéo.

Et, je vous offre des images supplémentaires de Messieurs Parent et Virilio, images venant du numéro de Architecture Principe N° 1 de 1966 en ma possession (eh oui...) :































Et je vous offre quelques photographies prises lors des travaux de constructions presque achevés :







samedi 19 octobre 2013

Royan en ateliers




 Les cartes postales sont encore capables malgré parfois une quasi-overdose de m'offrir l'inattendu, le superbe et l'inouï.
Ce dernier adjectif est ici bien peu à la hauteur de ce que nous allons découvrir ensemble, tant la contraction des qualités (images, objets, sujets) forme une sorte de manifeste contemporain pour la photographie populaire, ouvrant à la carte postale le champ de la photographie plasticienne contemporaine. Comme d'immenses (minuscules) écrans de mes projections personnelles...
13 cartes postales du Centre d'Apprentissage du Bâtiment de Royan éditées par Aignan et Bernard, éditeurs à Tours et photographiées par J.P. Lassus, photographe à Royan. On y voit (mal) un ensemble scolaire où des jeunes dans différents exercices des métiers du bâtiment apprennent à faire peinture, maçonnerie, taille de pierre, et charpente.
On se souvient aussi de cet exemple similaire à Lille.



Mais... les formes et les échelles des objets produits, leur répétition à l'identique en tant qu'exercices, les formes géométriques, tous détachés de bâtiments, posés sur le sol, extraits de l'architecture comme des échantillons agissent alors dans leur inutilité du moment (qui répond à leur extrême attachement à du réel) comme des sculptures contemporaines, comme des installations d'artistes conceptuels.
La beauté des photographies alliant une forme de maladresse des premiers plans, montrant le fouillis parfois de lieux s'attachant bien plus aux productions qu'aux jeunes apprentis réduits souvent à des silhouettes dont on devine les faces et les corps juvéniles est une beauté sensible dont la maladresse amicale pour le sujet donne une force encore plus particulière. On vient voir comment le savoir réalise les formes, comment ceux qui ne savent pas finissent par savoir et construire. On vient voir l'architecture trouver ses mains qui s'épaissiront à la tâche, on vient voir et donner à voir une génération qui apprend et une autre qui transmet.
On devine aussi devant l'ampleur de l'édition que ce qui est photographié servira à dire à la famille ce qui se réalise là. L'arpette enverra à la mère restée à Angoulême ou à Saintes des images, des cartes postales lui permettant sans doute aussi avec fierté de montrer ce qu'il est capable maintenant de faire. 13 cartes postales pour 13 ou 14 ans, l'âge ici sans doute de ces gamins tentant de reconstruire la France.





Mais j'ai un doute. Si mon cœur voulait dans un parfait symbole de la Reconstruction voir dans ces cartes postales la beauté juvénile de Royan, rien ne me permet de dater ces cartes postales de l'après-guerre. Et les visages, les salopettes, les combinaisons de travail maculées, sont trop peu marqués par une époque pour dire si ce centre d'apprentissage aurait pu avoir été construit et installé là dans l'opportunité des ruines de la ville de Royan pour lui donner sur place la main d'œuvre dont elle aurait besoin pour se reconstruire. Aucune carte n'est ici datée ou écrite. L'autre doute vient aussi du style des échantillons de ces bâtiments dont rien de particulièrement moderne ne vient dire la révolution de l'architecture de Royan. Mais là, il va de soi que souvent, on forme ces jeunesses depuis des formes et des structures anciennes, nous dirons classiques qui offrent souvent avant tout l'occasion de formes complexes et exemplaires pour des exercices complets. On n'apprend pas ici la modernité mais comment le plus sérieusement possible la réaliser...
Mais tout de même, je reste stupéfait devant la collision entre tous mes intérêts, toutes mes lubies. L'inachèvement ici est désiré, la dispersion est en fait, contre celle produite par les ruines, une dispersion personnalisée d'un exercice. Et la grande projection a lieu. Je rêve de Kirkeby, je rêve de Rachel Whiteread, ou de Julian Opie, dans un arc inachevé je pense à Vincent Ganivet et je reconnais dans les polyèdres sur les établis ceux de Claude Lothier et les deux apprentis, pinceaux à la main, sont comme ceux des publicités Ripolin.







Et comment devant ce motif de "Royan, centre du Bâtiment" ne pas croire que dans le dos de l'apprenti, la ville de Royan, immense chantier de la Modernité, n'est pas simplement en train d'attendre sa jeunesse qui viendra en faire la plus belle ville du Monde.