dimanche 29 juin 2014

Pluie pluie cui cui pluie pluie

Hier, je suis donc allé à la Quinzaine Radieuse pour en suivre la programmation joyeuse et musicale, architecturale et performative.
Ça continue aujourd'hui, alors arrêtez de lire cet article et filez vite à Piacé le Radieux !
Il est agréable aussi d'y retrouver la foule amicale de la famille sarthoise qui se compose maintenant d'anciens élèves, de tous nouveaux et tous beaux, de collègues du Mans et d'amis normands. Certains sont des participants actifs, des musiciens, des chanteurs, d'autres viennent les soutenir et surtout les écouter. Pour ma part, j'ai pris en photo quelques-uns des nichoirs et perchoirs à oiseaux dessinés par des artistes ou des designers et installés un peu partout dans le superbe parcours de pièces contemporaines de Piacé dont la Bulle six Coques fait maintenant partie intégrante.
Certes, la pluie abondante est aussi venue, mais la pluie a bien le droit aussi d'aimer l'architecture, la musique et le design. 
Et dans la foule des amis, voilà que Benoît Derbaix me tend un petit paquet de cartes postales un rien humides. C'est comme ça maintenant, les cartes postales passent de poche en poche, d'ami en ami. Alors, je vous les donne à voir et je remercie Benoît chaleureusement.
Je vous donne également quelques images des nichoirs provenant de la collection de Mathieu Mercier. Je créditerai les auteurs plus tard, c'est promis, j'ai oublié la liste des noms...
Allez ! Tous à Piacé !


Devant le Palais des Congrès de Royan, deux silhouettes noires passent sous un drapeau français surdimensionné. On peut se demander à quelle occasion un tel étendard était ainsi installé, le 14 juillet peut-être ? Les éditions Berjaud nous permettent de voir le Palais des Congrès dans la plénitude de ses formes et de la merveilleuse composition de sa façade dont les panneaux Jean Prouvé sont ici très lisibles. 


On aime toujours autant la gestion des espaces intérieurs et extérieurs, la multiplicité des terrasses ici bien ombragées par une multitude de parasols joyeux. On remarque au fond l'Hôtel Foncillon encore magnifique avant le relooking criminel et catastrophique de sa façade. On observe aussi que la Résidence Foncillon n'est pas encore construite.




En 1976, une correspondante hospitalisée à l'Hôpital Henri Mondor envoie une carte postale à son docteur ! Ladite carte est une édition La Cigogne en multi-vues qui nous fait faire le tour de cet hôpital moderne dont la façade est plaquée d'une immense croix bleu ciel. On reviendra sur les cartes postales d'hôpitaux plus tard.



Chef-d'œuvre français de Guillaume Gillet, le château d'eau de la Guérinière à Caen. On reste toujours admiratif de cette belle forme et de la générosité de son dessin. Gillet fait là une œuvre complexe mêlant les programmes dont la légèreté sur le sol était sa puissance. Aujourd'hui tout cela est un peu éteint.
On peut encore aimer que les éditeurs de cartes postales aient compris alors l'importance de l'architecture de leur temps et n'avaient aucun souci à publier des cartes postales de tels monuments. Ici ce sont les éditions Iris pour Cap-Théojac qui régalent. On notera que Guillaume Gillet est bien crédité et que la carte postale expédiée en 1975 est un cliché plus ancien.

Et maintenant des architectures pour des oiseaux. La multitude des formes et des approches est souvent articulée sur l'humour et le jeu des images souvent surréalistes. Peu tentent réellement la vraie confrontation directe avec la fonction en osant l'approche naturaliste. On joue et c'est heureux et on joue souvent à l'architecture moquant ses formes, ses errances, ses symboles. Le concours à l'originalité de l'idée presse un peu les artistes à faire une image qui viendra marquer le spectateur bien plus que... les oiseaux !
On cherche parfois le sens (au sens... propre comme au figuré !) et on observe surtout l'absence d'oiseaux dans les arbres. Ils sont imaginaires, rêvés et si ses oiseaux sont des cons comme le dit si bien Chaval, ils ne le sont pas assez pour s'installer dans ces fantaisies pourtant touchantes, rieuses et fondamentalement tendres. Ces nichoirs sont surtout pour nous et pendent des branches comme des fruits étranges que notre imagination laisse couler des hauteurs, et c'est bien ainsi.
Allez les voir, il y en a beaucoup plus que ceux que je vous montre !



L'un des plus beaux, réalisé, je crois, à partir des piques anti-pigeons, il forme une structure superbe :


le plus "bungalow pour camping suisse" :


mon préféré, Pinocchio et son nez :


le plus organique :


le plus "retour de bagne" :


le plus conceptuel fait d'un simple image :


le plus délicat :


le plus "furieusement Fièvre du Samedi Soir" :


le plus "ascension par la face nord" :


le plus "juste retour des choses" :



dimanche 22 juin 2014

Depuis la hauteur

Il arrive que l'architecture sacrée, dans sa plus belle expression, soit attentive à des formes discrètes, reconnues, même neutres.
On a vu des églises bunker qui invoquent la grotte de Lourdes, des paraboloïdes hyperboliques qui chantent la technologie et l'élan français. Regardons à nouveau, dans la ville, le hangar pour Dieu :



À Lunéville, l'église St Léopold est posée au milieu de la ville comme pour recevoir les dirigeables. Elle forme un contraste simple avec le reste du bâti dont certaines ruines indiqueraient la nécessité d'une telle construction. Pourquoi construire une église aussi particulière dans une forme qui ne l'est pas, dans une forme qui est celle connue d'autres types architecturaux ?
Vous me direz que Notre-Dame-de-Royan doit beaucoup de sa forme à celle des silos à grain. Pourquoi ne pas évoquer ainsi la typologie du hangar ?



Parce que c'est beau.
La beauté ici tient dans cet écart entre l'attendu d'un programme et l'étonnement de sa réalisation. Dieu peut bien être chanté dans un hangar, il le fut dans une crèche... Et si l'église est avant tout l'assemblée des fidèles, alors un béton courbé d'un seul geste pourra faire l'affaire. Et la hauteur, la douceur un peu sereine de cette courbe, son contraste avec la ville, la lecture même de cette forme comme indifférente à sa fonction, presque ready-made, sa modestie tranquille fabriqueront un lieu simple, dépouillé qui convient parfaitement à ce qu'il y a à faire là. Une tige tournoyante comme un foret s'élançant dans le ciel et s'enfonçant dans le sol fera le seul signe nécessaire à la reconnaissance de la fonction d'appel : le campanile.
Mais Dieu pourrait aussi aimer ça :



Olivier Caplain, l'architecte de l'église Saint François d'Assise à Gonesse dans le quartier de la Fauconnière fait un geste, une forme moderne qui doit se lire immédiatement comme un événement urbain au milieu d'un grand ensemble. On connaît cette pratique qui fait de l'église posée au milieu des barres, une sorte de monument particulier, d'objet d'art, comme le bibelot exotique posé sur une étagère.
L'objet est beau, offrant une forme circulaire qui se brise vers l'intérieur pour former l'entrée. Le toit est une petite merveille de plis comme une collerette et permet d'ouvrir à l'alternance de ses angles, l'église à la lumière. L'ensemble tente d'afficher une épaisseur des murs, quelque chose de retenu vers l'extérieur comme pour isoler l'intérieur du tumulte de la vie. Du moins, en donner à l'œil le sentiment.
La pierre et le jeu d'eau d'un bassin ainsi que le clocher accentuent enfin l'événement architectural. Il ne fait aucun doute que cette église contemporaine est un objet de... culte.
On remarquera que le photographe des éditions Yvon est allé chercher un point de vue en hauteur comme pour affirmer un peu plus l'importance du dessin du toit de cette église Saint François d'Assise. Peut-on affirmer que l'architecte, Olivier Caplain, sachant que les habitants seraient surtout logés en hauteur dans des tours, auraient plaisir à voir du dessus cette église et, en conséquence de cette prédominance du point de vue, l'architecte aurait particulièrement soigné le toit de son église ?
Difficile de l'affirmer mais, ce qui est certain, c'est que Dieu, depuis ses hauteurs, doit aimer ainsi voir ce beau dessin d'un hangar à Lunéville et d'une collerette à Gonesse.



mercredi 18 juin 2014

Hommage à Monsieur Claude Damery






J'apprends à l'instant par Vincent Damery que Monsieur Claude Damery, architecte est décédé le 15 juin dernier. C'est triste.
J'avais eu la chance d'avoir un petit contact avec lui et il m'avait demandé un exemplaire du livre sur La Rafale de Reims, l'un des chefs-d'œuvre du brutalisme français disparu stupidement. Nous avions découvert ce bâtiment grâce au guide de Dominique Amouroux, guide qui nous avait aussi emmenés voir le château d'eau superbe du même architecte.
Monsieur Damery est associé à Messieurs Vetter et Weil pour ces opérations.
Alors, je n'ai pas particulièrement de cartes postales à vous montrer de ces beaux bâtiments mais quelques images faites lors de nos promenades avec Claude.
Cela fera un petit hommage à cet architecte qui aura su nous offrir avec la Rafale l'une des plus belles émotions architecturales et qui, par sa destruction aura fondé ma rage à sauver ce patrimoine de la bêtise de ces destructions.
C'est la qualité de cette rage que je voudrais offrir à Monsieur Damery. Merci.
Les photographies sont de Claude Lothier.











Comme les lunettes de Michou

On sait maintenant que l'une des qualités des cartes postales comme source de documentation, c'est bien que ce mode d'édition semble avoir enregistré les grandes comme les petites choses urbaines ou architecturale. On a vu plein d'exemples de petites architectures, souvent inconnues ou du moins, peu regardées pour elles-mêmes mais qui ont eu droit à une représentation, preuve que ces architectures ont marqué leur lieu.
Voici un exemple parfait :



Comment ne pas être saisi par cet objet ? On pourrait, rien que par sa forme, tenter de définir son rôle, mais comme il se doit dans toute bonne architecture, c'est bien que cette forme prenne une autonomie à sa fonction, qu'elle la déborde, ce qui nous permet d'affirmer que nous sommes devant de l'architecture.
Alors, savez-vous donner une fonction à ce bel objet cylindrique ?
Non, il ne s'agit pas d'une villa audacieuse, non, il ne s'agit pas d'un filtre géant pour l'air du Port d'Antibes que l'on voit derrière.
Alors ? Il s'agit bien évidemment de la Tour de la Capitainerie de ce Port d'Antibes ! Un peu comme une tour de contrôle d'aéroport, il faut que l'objet architectural soit un objet de vue totale, permettant une observation tout autour de lui pour surveiller les arrivées des bateaux. Il faut dont un socle pour l'élever. Ici, on aimera les escaliers, projetés sur l'extérieur comme le font les bateaux de leur passerelle. Puis un cylindre de verre vous fait entrer et permet de voir la structure porteuse avec un petit bureau d'accueil. Vient ensuite, posé sur ce premier socle, un grand disque bleu occulté par des persiennes intérieures derrière des verres teintés comme les lunettes de Michou.



On devine alors que l'ensemble est suspendu par le haut, par les piliers faisant grue que l'on voit déborder sur le dessus. On doit depuis ce moment de l'architecture pouvoir voir sans être aveuglé par le soleil. Le mystère ainsi créé par un regard arrêté sur ces persiennes ajoute à la beauté de l'ensemble. Enfin on devine une vigie posée au-dessus. Enfin, je crois.
La carte postale Yvon imprimée en Draeger 301 ne nous donne pas le nom de l'architecte de cette capitainerie d'Antibes. On aimera aussi la volée d'automobiles garées sans doute dessous dans l'espoir d'un peu d'ombre : une américaine inconnue, Jaguar, coupé FIAT, magnifique Renault 16, Mercedes, Peugeot coupé. On devine une Buggy et une Méhari Citroën.
Retrouvons maintenant, une petite architecture de nous si aimée :



Dans la rue, sur la rue, avec la rue, le photographe des éditions Combier vient à Cesson-Sévigné dans les Hauts-de-Cesson, pour cadrer sa piscine Tournesol. Il fait beau, et le bruit du tracteur-tondeuse vient briser le silence de l'image. Personne.
La piscine pourtant agit comme un coquillage amplifiant sous les fenêtres de la cité, les cris des baigneurs et de ceux qui sont venus là parce qu'il n'y a pas grand-chose d'autre à faire. Dans le cou du photographe, le soleil commence à taper. Il refait un cliché avant de partir en montrant l'autre face, celle de l'entrée. Il faut faire le plein de la voiture et donner la pellicule au laboratoire.
Il fait vraiment trop chaud aujourd'hui. Et s'il allait acheter un maillot pour faire un plongeon avant de repartir ?

lundi 16 juin 2014

Je choisis l'architecture

Et si on s'amusait, l'une contre l'autre, à regarder deux propositions pour habiter le bord de mer ?
On verra que, sans doute, il nous sera aisé de choisir depuis une image mais que, aussi, vivre les lieux nous permettrait de relativiser ce choix.
Commençons :



Nous sommes à Théoule-sur-Mer, devant la Cité Marine de Port la Galère dessinée par les architectes L. Vitorge, A. S. Kandjian et J. Couelle. On voit un ensemble coloré qui tente une représentation de rocaille, de grotte, dont la patine n'est que de béton projeté. On ajoute un peu de tuile romane, de fer forgé et d'ourlet épais de fausse maçonnerie pour que l'illusion soit parfaite. On joue.




Je vous cite de nouveau Mr Dominique Amouroux qui ramasse en quelques mots l'architecture qui n'en est pas : "Sur une structure en béton qui ne diffère en rien de celles des H.L.M. on plaque une "peau" d'aspect baroque. Il est ainsi possible de projeter deux images : historicité des demeures archaïques, trogloditiques, intégration au paysage, sans changer la conception interne des appartements figée dans un conformisme béat. Opération anti-architecturale par excellence où la forme extérieure n'est pas engendrée par les espaces intérieurs créés."









Tout est dit est bien plus encore. On voit dans le texte de Monsieur Amouroux la conception de ce que devrait être l'architecture par le négatif de l'ensemble de ses mots. Une architecture n'est pas liée à l'historicité, n'est pas décorée, n'est pas intégrée. Elle doit être conçue depuis le dedans du plan vers l'extérieur. Elle doit afficher sa structure, du moins, la structure ne doit pas être camouflée. Nous sommes d'accord.
On remarque d'ailleurs également que dans son Guide d'architecture contemporaine en France, Dominique Amouroux ajoute à la photographie une coupe pour que ce qu'il dit soit confirmé par le dessin ! On y voit bien le placage.
Il faut aujourd'hui regarder ce genre avec d'autres yeux. Si, dans l'absolu du moment, on peut être d'accord avec ce postulat radical, comment perçoit-on maintenant cet ensemble ? La question ici n'est pas tellement le rapport à l'histoire que la manière dont il est rendu visible... Car il y a aujourd'hui du néo-provençal partout qui n'a pas l'invention (oui) de cet ensemble. Reconnaissons-lui une particularité.
Sans doute également que le vernaculaire, le mauvais goût, ont travaillé cet ensemble de rajouts, de peinture acrylique, de doubles vitrages, de vérandas, donnant à Port la Galère la justesse de son nom.
Alors, faut-il préférer ça ?



Nous sommes à Calpe devant la Manzarena dessinée par Ricardo Bofill et le Taller de Arquitectura. Deux Bofill pour le prix d'un !



Au premier plan, la masse de la Muraille Rouge fait parfaitement son travail d'opposition franche avec la falaise comme pour instaurer un dialogue entre le naturel et le construit. On n'intègre pas, on oppose franchement mais aussi délicatement, ne nous y trompons pas. Couleurs, géométrie, jouent ce rôle essentiel. Au fond on devine la platitude des constructions de promoteur.
 Ici, on invente un choc psychologique et plastique dont la couleur est le moteur. Le rose et l'ocre rouge viennent chanter contre la Terre de Sienne. On ne camoufle pas, on invente une autre topographie. Bofill avait ce talent. L'objet devient mystérieux, grave , impénétrable comme une forteresse moyen-ageuse. Il y a ici architecture et l'intégration vient non d'une image historique mais d'un génie du lieu. Et la couleur devient un absolu de l'architecture.
au second plan :



On retrouve Ricardo Bofill.
Ici la radicalité pourrait semblait moindre pourtant cette forme au-delà de quelques éléments décoratifs est bien tout aussi déterminée c'est à dire sans concession. On pourra retourner ici pour lire une autre carte postale.
Il faut croire que cette construction a connu un bon succès éditorial pour que plusieurs cartes postales soient éditées. Ici le photographe des éditions Subirats Casanovas joue la symétrie avec l'énorme rocher comme si les deux éléments (le construit et le naturel) dialoguaient ensemble. Et c'est assez juste !
Alors faut-il choisir ?
Oui.
Je choisis l'architecture, je choisis Bofill. Qui aurait cru, qu'un jour, j'aurais pu écrire ça.

dimanche 15 juin 2014

Nous Autres


Nous commençons à bien connaître le travail de Frédéric Lefever, photographe. Nous avons écrit ici ou là des articles sur son travail, sur sa photographie.
Je viens de m'offrir un beau livre : Nous Autres.
Ce livre donne à voir la mission photographique de Frédéric Lefever en Belgique, il s'agit donc d'une commande faite par le B.P.S. 22, espace de création contemporaine de la Province du Hainault.
La commande c'est avant tout ici l'espace déterminé, pour le reste le photographe agit avec le seul regard qui est le sien. On reconnaît immédiatement son travail sans doute aussi parce qu'on reconnaît les particularités des objets photographiés. C'est là que l'analyse va devenir difficile car cette reconnaissance est ce qu'il y a de plus difficile à définir. Petites maisons individuelles, boutiques, murs percés d'ouvertures, aplats de matériaux couvrants, sont dessinés par leur lignes sur le dépoli de l'appareil photographique. 
Ce que je nommais frontalité n'est pas ici une distance objective sérieuse et grave. C'est la nécessaire manière d'égaliser les détails, de les donner à voir pour chanter sans le dédain de l'objet ou son trop grand appétit patrimonial ou historique (Becher) ses particularité humaines. Les autres, Nous Autres sommes en effet là, derrière un rideau, dans la maison ou au fond du jardin.
Un honnête-homme photographie clairement ce qu'il voit. Honnêteté c'est l'équilibre juste entre vérité et amour.
Mais on sait aussi s'amuser avec lui. On sent le détail parfois attendri d'un échec esthétique, le glissement d'un matériau qui devient trop bavard ou l'abandon glacé d'un lieu vide. C'est souvent la couleur qui équilibre car elle signe l'anecdote d'une tache, la naïveté décorative, l'ambiguïté d'un matériau. Ce qui me saute aux yeux cette fois, c'est bien cela : les matériaux. Ils forment une peau étrange, l'unique tension des surfaces, et leurs éraflures, gonflements, ou leurs implacables champs colorés composent, comme découpés, les registres de l'image.
L'architecture est présente dans des objets parfois pompeux à cet art, parfois vernaculaires, toujours à une échelle d'artisan. Pas d'architecture collective, pas de chemin de grue, presque tout tient dans l'échelle d'un homme au bras levé. Une échelle des constructions qui raconte une ville fabriquée par des mains, une ville repeinte, maçonnée, lavée, décorée de rien ou d'ambition trop grande. Les architectures modernes sont trop modernes, comme des archétypes, des maquettes de petit train. C'est bien alors le cadre de Frédéric Lefever qui nous les donne à voir, sans moquerie, avec la tendresse d'une visite chez un parent éloigné. C'est ce qui fait la beauté de ses images, ce refus du dédain.
Alors, on pourrait aussi faire la liste de ce pourquoi les photographies de Frédéric Lefever ne sont pas des cartes postales. Ce n'est pas d'abord parce qu'il n'aime pas ce genre, nous l'avons vu, bien au contraire, c'est parce qu'il en connaît la limite mais surtout leur distance. Frédéric Lefever est en quelque sorte trop près, possible auto-portait par le reflet d'une vitre, ainsi son cadre ne tombe pas dans une atmosphère enjolivée d'un bac de géranium. Il est debout, face au sujet. Ce que ne veut pas faire le pittoresque. 
Je crois que dans la masse de la production de photographies plasticiennes, celles qui épuisent un héritage allemand en oubliant Atget ou Evans, c'est-à-dire en oubliant la figure, Frédéric Lefever revient sur l'essentiel de l'acte photographique : donner à voir. C'est un don.

On finira en disant que l'objet éditorial est superbe, bien imprimé, dans une mise en page blanche et limpide. On voit clairement dans la joie d'une frontalité des images, ce qui est notre intimité la plus stricte.
Je vous en donne à voir quelques images qui ne sont pas à la hauteur de cette qualité. L'auteur m'excusera, il s'agit de conserver l'appétit du livre aux futurs lecteurs et regardeurs.

Nous Autres
Frédéric Lefever
B.P.S. 22 éditions
isbn : 978-2-9601272-0-1