mercredi 31 décembre 2014

2015, c'est promis, je viendrai en 2015



"...tu vois, ça y est ! Le logement vient de nous être livré.
On peut enfin récupérer les meubles chez Odette. Petit Louis vient de finir les papiers peints dans les chambres. Il a bien travaillé, c'est fleuri.
Mimi attend de voir qui sera dans sa classe. Il espère qu'il reverra le petit Chatagneau. Alphonse a trouvé une 4cv Renault pour pas trop cher, on l'aura dimanche. Viens donc la voir. Bonne année à toi et encore merci pour ton aide. Si vous ne venez pas, c'est nous qui viendrons en janvier."
1954.




"...ça te rappellera des souvenirs...
Comment va Marguerite ?
Viendrez-vous pour la nouvelle année ?
Hier, on a mangé à Pontaillac avec Paulette. Elle vous passe le bonjour. Pour la valise, je suis allée à la gare, elle arrivera demain.
François apprend à nager au Club Mickey. Il est rouge de soleil. On est tellement heureux d'habiter là.
1964.




"...On a vu Sheila au Casino. Elle est vraiment chouette.
Soleil tout le temps. La maison est bien repeinte en jaune. C'est gai.
J'ai appris pour Mr Albert, c'est triste.
On attend les normands. Vont avoir chaud !
1974




"...On déménage samedi. Maison plus grande et à l'ombre des pins. Adresse jointe.
Mickael récupère l'appartement avec sa nouvelle épouse.
Petit Louis a enfin son carrelet à st Georges, il y va en Solex, tu verrais l'équipage !
Bonne année 85 à tous.
1984



"...avec la naissance de Nathan, je m'aperçois que j'ai oublié de te donner des nouvelles, je profite pour te souhaiter une bonne année 95.
Mickael a un poste à Bordeaux. On vend l'appartement.
Viens nous voir cette année. Le bonjour de la part d'Odette."
1994



"...Nathan va bien, il a passé les vacances de Noël avec nous. Il a envie de venir cet été. On pourrait se voir à ce moment là.
Ne reste pas seule, viens à la maison. On a tant de souvenirs. Rappelle-toi le jour du bal à la Libération ! Ah ce Petit louis !
Bonne année 2005
2004



"...On passera te voir à La Rochelle, la semaine prochaine.
Ils font une exposition sur la Reconstruction. Ils ont interrogé et filmé Petit Louis.
La Villa est en photo dans l'expo. On y voit Odette !
Bonne année 2015."
2014

par ordre d'apparition :
Façade du Boulevard Briand, éditions Berjaux.
Rond-Point de la Poste, Boulevard de la Grandière, éditions Berjaud.
Souvenirs de Royan, éditions Chatagneau en Elcécolor.
Le port, éditions Cely.
L'église Notre-dame, Gillet architecte, éditions Artaud.
L'église Notre-Dame, Gillet architecte, éditions Yvon.
Architecture Royan 50, éditions Bonne Anse.

lundi 29 décembre 2014

Les pieds nus



Momo cherchait le magasin que lui avait signalé Sidonie.
Il fallait acheter un change complet pour Alvar qui venait tout juste d'apprendre à marcher et il grandissait si vite.
Dans Parly 2, il aimait le confort, le calme et même le luxe de ce Mail comme on disait à l'époque. Tout seul, il avait même décidé de flâner un peu, de regarder les boutiques et de peut-être s'offrir l'une de ces belles chemises qu'il avait vues hier. Après tout, il avait maintenant un niveau de vie qui lui permettait de se faire plaisir et de faire plaisir à sa famille.
L'agence de Jean-Michel, qu'il avait reprise avec succès, se développait à une vitesse folle et il avait dû embaucher deux jeunes ingénieurs de son âge le mois dernier.
La naissance d'Alvar, prénom donné par Jean-Michel avait permis aussi de décider quelque chose de sa vie. Ils s'installeraient donc tous les trois, au Chesnay à Parly 2 d'abord parce que c'était proche des parents et que, surtout, l'agence ayant participé à son étude, ils avaient eu droit à un prêt très avantageux.
Devant la boutique Bally, Momo s'arrêta et regarda avec envie une paire de mocassins à bout carré très modernes en cuir clair. Il regarda ses vieilles baskets. Il se dit que c'était le moment. Il ressortit quelques minutes après avec les chaussures neuves à ses pieds...



..."C'est ton fils qui apprend à marcher et c'est pour toi que tu achètes des chaussures ?"
S'exclama Sidonie au retour de Mohamed du centre commercial.
"Ben, disons que c'est ma manière de fêter ça !" reprit Momo qui avait Alvar dans ses bras.
Le gamin n'était vêtu au bord de la piscine que de sa couche-culotte et semblait bien heureux d'être nus pieds. Sidonie, allongée sur le bateau gonflable qu'elle utilisait comme coussin, se plongea de nouveau dans la lecture de son livre, une autobiographie du comédien, le nain Pierral.
Momo n'aimait qu'une chose, jouer avec son fils et le voir marcher et même courir un peu. Ils allaient au bord de l'eau, s'arrosaient, Momo faisait faire à Alvar l'hélicoptère au risque que la couche culotte, prise dans la force centrifuge ne quitte les fesses du bambin pour atterrir dans l'eau du bassin comme c'était arrivé hier ! Tout le monde avait ri sauf, étrangement Alvar, qui semblait malgré son petit âge comme pris d'une honte soudaine.




"Sidonie, où est le panier ? Je crois qu'il faudrait donner à boire à Alvar."
"Mais j'en sais rien, regarde au bord de la pelouse, là-bas."
"Non, il n'y est pas... Mince alors... qu'est-ce que j'en ai foutu ?"
Soudain, Alvar resta planté devant le petit muret et leva la tête avec obstination.
"Petit malin !" S'exclama Momo ! "tu as trouvé le panier de papa !"
Momo était tellement fier de croire que ce n'était pas le hasard qui avait placé ainsi l'enfant et le panier en face l'un de l'autre.
"Oui Alvar, le pa le pa, le panier, oui panier de papa." Répéta-t-il à l'envi à son fils. Sidonie appuyée sur le coude regardait Momo et Alvar et s'amusait de tant de naïveté. Le ciel blanchit soudain.
"Et si on rentrait ?" demanda Sidonie.
"Pourquoi si tôt ?" répondit Momo.
"D'abord il commence à faire frais et puis, tu oublies... Gilles et Hans viennent ce soir, il faut penser à faire des courses."
"Mais j'en viens du centre commercial ! Laisse tomber, on ira au restaurant, à la cafétéria, il faut que Gilles et Hans voient ça et ce sera plus amusant avec Alvar."
"Si tu veux..." Et Sidonie plongea à nouveau ses yeux dans la vie de Pierral.
Momo et Alvar étaient déjà repartis dans l'herbe, tous deux, ils étaient pieds nus.


Par ordre d'apparition : trois cartes postales du Chesnay, Parly 2 par Yvon éditeur.

Incroyable coïncidence ! Ce matin, France Culture diffuse sa Fabrique de l'Histoire sur Parly 2 !
Merci...

dimanche 28 décembre 2014

Construire une maison

Alors que dans la frénésie des achats de Noël, j'étais à la recherche de livres pour les amis, mon œil glisse soudain sur un minuscule livre tant par sa taille que par sa pagination (30 pages) :



Construire une maison de Jack London aux éditions du sonneur est pourtant un livre magnifique et incroyablement d'actualité !
Quelle chance !
Je vous ai parlé de beaucoup de livres en cette fin d'année (et ce n'est pas fini...) mais si vous aimez l'architecture et l'idée même du logis, de l'habitat et surtout de l'habiter, il vous faut passer ces quelques minutes de lecture avec Jack London qui, contre toutes (mes) attentes, définit en quelques lignes une forme amusée et rigoureuse de l'architecture.
Il y a même une description de son logis idéal pour commencer ce texte qui laisse pantois et réserve une magnifique surprise digne de Le Corbusier... ou de Jules Verne, je vous laisse découvrir !
Si j'étais enseignant dans une école d'art ou d'architecture (suivez mon regard...) je ferais avec ce livre un travail avec les étudiants. J'associerais ce texte avec La politesse des maisons de Bénédicte Chaljub et Renée Gailhoustet. Il se pourrait bien qu'entre les deux livres existe une lignée belle et joyeuse d'une architecture tournée d'abord vers l'habitant : une vérité architecturale en quelque sorte. Pour 5 euros, oui, 5 euros, remettez vos pendules à l'heure sur la maison et l'architecture et achetez illico Construire une maison de Jack London.
Je ne vous en donne que quelques très courts extraits pour vous donner envie...







Pour accompagner ce texte, quoi de mieux que deux cartes postales éditées à des fins publicitaires par la société "Onduline"qui fabriquait des tôles ondulées en métal ou en plastique.
Sur cette première carte postale, on trouve deux chalets visés par le toit pour bien montrer le produit "Onduline" à l'œuvre.



Le chantier de construction est dans sa phase finale et on a un peu peur que tout cela glisse vers le bas de la montagne de Pra-Loup. On ne nomme pas d'architecte mais on parle d'une construction traditionnelle nommée par l'éditeur "châlet norvégien".
Je vous donne le verso de la carte c'est amusant !



L'autre carte postale nous montre toujours un produit Onduline utilisé ici pour une serre consacrée à la culture des œillets américains à Sainte-Estève chez les établissements Brousse Frères.
Ici c'est le produit Takiron qui est en vedette.
Mais je fus surtout séduit par l'espace de cette image, par la beauté du bleu passant entre la structure en lamellé-collé si fine et avec une telle portée !
Parfois, une belle architecture c'est d'abord la vérité de sa structure, la vérité de ses matériaux, l'application simple de ses fonctions.
Cela plairait tellement à Jack London !

jeudi 25 décembre 2014

Une année avec vous

Comme tous les ans, à cette période, je tire un bilan de l'année écoulée pour voir si, par hasard, ce blog aurait encore un peu de sens, de raison d'être, pour l'année prochaine...
Alors nous allons regarder.
Sans aucun doute, la publication de Royan, l'image absolue est l'une de mes plus belles joies de cette année. Comment ne pourrais-je pas être heureux de voir que ma collection de cartes postales de la plus belle ville du Monde trouve enfin l'occasion d'un partage et d'une analyse. Je remercie tous les lecteurs de ce livre pour les nombreux commentaires et critiques positives et négatives reçues. Merci à tous mes amis pour leur avis formulés sur leur lecture. Ça fait plaisir autant d'intérêt et d'échanges.

Il faut remercier tous les auteurs, écrivains, journalistes qui ont cru bon pour leurs ouvrages ou publications de nommer le blog, d'en utiliser les images, faire des articles.
Merci donc à Tony Bannister pour la citation du blog dans un reportage sur la B. B. C.
Merci à Kenny Cupers et à son ouvrage The Social Project.
Merci à Bénédicte Chaljub, merci à l'équipe de Rem Koolhaas et à celle du Pavillon Luxembourgeois qui m'ont permis d'être nommé par deux fois à la Biennale de Venise cette année !
Merci à la revue Arquine.
Et je remercie les blogs et les sites amis et plus particulièrement l'abeille et l'architecte pour son soutien et son relais sans faille.

Le blog me permet aussi de faire des conférences : Merci cette année à Nicolas Moulin pour son invitation à la Fiac, à Bernard Lallemand pour son invitation dans le cadre du Laboratoire de Recherche à Rouen, merci enfin à Florence Bourillon pour son invitation à Créteil où j'ai pu évoquer Royan.

L'année fut encore une année de défense du Patrimoine avec l'événement le plus important pour moi depuis longtemps ! Le sauvetage et la restauration de la Bulle six coques de Boos !
Merci donc à Clément Cividino pour son soutien et son énergie communicative, merci à Nicolas Hérisson pour l'accueil et le travail incroyable effectué à Piacé et merci à tous ceux qui sont venus pour le démontage et la restauration. Que de chaleur humaine ! Spéciale dédicace à Marc Hamandjian, toujours présent. Ce sauvetage nous a permis de mettre en place cette année également le Réseau National des Micro et Mobiles Architectures.
On aura aussi participé plus modestement au sauvetage du bâtiment de Pingusson à Nîmes et des Carrats de Candilis à Port Leucate.
On notera que le classement du centre commercial de Ris-Orangis (Claude Parent, architecte) est toujours d'actualité et que l'année qui vient sera décisive...
Il y a eu l'échec de Sainte Bernadette de Grand-Quevilly... Trop tard, sans volonté politique ni institutionnelle, c'est un cas d'école maintenant pour la gestion désastreuse d'une mairie face à son Patrimoine. N'oublions pas les responsables : la mairie socialiste (j'ai du mal à écrire ça), le diocèse de Rouen (vraiment...) et les responsables du Patrimoine dans la Région Haute-Normandie... Suivez mon regard... Nous n'oublierons pas cette affaire...

Nous aurons aussi participé à des expositions. D'abord le très bel accueil de La Forme au Havre et l'histoire merveilleuse de Claude Parent et Mr Gosselin dans cette ville ! Quelle joie ! Quel honneur ! Merci Pascal et Anne.
Puis aussi l'exposition à la Galerie du Dourven sur l'invitation de David Mickael Clarke. Merci !

Merci à Maxime Ravisy d'avoir cru en mes histoires, d'en avoir fait un beau travail d'études.

L'année 2014 fut aussi celle du succès de la souscription pour le livre sur Charles Bueb découvert sur ce blog, souscription mise en place par Julien Donada et Grégoire Romefort. Merci à tous pour votre soutien !

Je remercie également tous les donateurs, tous ceux qui ont envoyé une carte, plusieurs, des livres, des catalogues et des documents pour enrichir ce blog. Merci à vous tous !
Merci en particulier à Laurent Patart si généreux !

Et désolé si j'oublie quelqu'un ! Merci à vous tous !

Pas de doute que l'année 2015 sera aussi riche, forte et pleine de promesses tenues.
Elle démarrera fort avec la publication du livre sur Charles Bueb et, au printemps, espérons-le, avec la restauration achevée de la Bulle six coques.

Bonne année 2015, que la carte postale comme objet de découverte, de regard, comme signe photographique, continue de nous réjouir et surtout de nous apprendre à aimer l'architecture.
Nommons les photographes, les éditeurs, les architectes, les découvreurs.
Nous pouvons ainsi leur dire merci.
Laissons le mutisme des images à ceux qui ne croient en rien et surtout pas en eux-mêmes.

Vive 2015 !
David Liaudet

Il fallait trouver une carte postale digne de représenter cette année !
Je vous propose celle tout juste éditée par Nicolas Hérisson, montrant la Bulle six coques de Jean-Benjamin Maneval dans la brume de la campagne sarthoise qui résume à elle seule cette année : Patrimoine, image, photographie et surtout le partage et la reconnaissance du travail accompli par une équipe :

Photographie de Nicolas Hérisson pour Piacé-le-Radieux.

mercredi 24 décembre 2014

Terminus radieux

"... Depuis plus de mille cent quarante sept ans le Comité de Vigilance Brutaliste se réunissait pour la cérémonie du Livre.
Les Soviétiques Précieux qui formaient ce Comité arrivaient toujours par le Nord, suivant le chemin des oies sauvages bleues et les traînées pourpres irradiantes dans le ciel. Il fallait plusieurs jours pour retrouver la Centrale-Mère, celle qui explosa la première il y a plus de mille cent quarante sept années et qui était la seule digne de recevoir ainsi la cérémonie. Elle était une carcasse de rouille complétée d'un dôme brûlant encore du feu nucléaire et que les flocons de neige eux-même évitaient de toucher.
On arrivait de son kolkhoze ou de son sovkhoze couvert parfois encore de sa glace, habillé comme il se doit du couvre-chef d'herbes sauvages que chacun se devait de tresser par trois fois sur le chemin. Balançant leurs corps lourds dans la neige collante, traînant la dépouille du loup rituel depuis le début du voyage, il n'était pas rare qu'ils se perdent dans la taïga. On tuait aussi beaucoup.
Dans le coffre métallique gris était le Livre. Il était jauni d'usure mais aussi de crasse et la cérémonie étrangement ne l'épargnait pas. Le Comité de Vigilance Brutaliste devait en écouter des passages dans une nudité complète, sous la lumière jaune du feu nucléaire s'éteignant certes, mais s'éteignant lentement depuis la première explosion. Mais cela personne ne le savait vraiment car le temps n'était plus mesuré. Il n'existait plus. Le coffre du Livre c'était toujours celui de la Ville qui l'apportait. C'était son gardien, tâche compliquée et fatigante car il était difficile dans les ruines de la Ville de bien protéger et défendre le Livre des hommes à tête de loup. Ceux de la Forêt amenaient un prisonnier qu'ils devaient avoir capturé dans l'année et qu'ils auront dû former à la lecture. Seul, celui-ci devait en effet lire pour que sa peur soit la certitude du respect du texte. C'était alors la cérémonie qui commençait, on appelait cette phase sereine : Terminus radieux.
Au centre on plaçait le prisonnier, autour le Comité de Vigilance Brutaliste s'accroupissait en ne tournant jamais le dos au sud. Personne ne savait plus pourquoi et seul, sur le sol de béton gris, un S géant gravé indiquait la direction. Le Livre était alors sorti de sa boîte pendant que l'un des Soviétiques Précieux, l'un des plus grands Gardiens de la Morale Révolutionnaire entamait l'hymne de la Deuxième Union Soviétique. Entouré d'une peau de lièvre argenté, les pages maintenues fermées entre elles par un caoutchouc durci, l'autre officiant donnait alors le Livre en le présentant d'abord à l'assemblée qui était soudainement prise de râles, de cris de joie, de pleurs et parfois même de peur. On le maintenait ainsi à bout de bras, sous le ciel de béton brut parcouru de lumières jaunes. La couverture du Livre avait été blanche ainsi que ses pages mais maintenant tout cela était noirci au bord d'ailleurs imprécis de l'ouvrage. Certains grands officiants avaient même osé prétendre lors du Schisme de l'Orbise que le Livre avait perdu des pages. Ils furent jetés dans le bleu-blanc du puits nucléaire. 
Sur la couverture, une seule et  minuscule fenêtre rouge, une icône montrait un homme en train de marcher dans la forêt. C'était, selon l'École, l'image même d'Antoine Volodine, le Grand Liquidateur, leur guide.
Au-dessus de l'image en lettres noires et grasses était gravé dans le papier Terminus Radieux. Plus personne, pas même le Suprême Soviétique ne savait comment le Livre avait été fait et fabriqué. Il ne pouvait même pas croire que ce fut là un objet humain. Le Livre était là, depuis au moins le jour absolu qui éclaira la terre par des centaines de centrales nucléaires explosant en même temps, à la même seconde. La terre brilla pendant trente-deux années consécutives. Le prisonnier avait été vêtu de la seule peau du loup écorché. On lui enfilait la tête dans la taille ouverte au couteau du ventre de la bête, il était ainsi agrandi par la tête de l'animal. Le flot du sang lui séchait dessus. On lui donnait le Livre et il ne devait lire qu'au hasard et par saccades déterminées de manière empirique par le Suprême Soviétique. Le bourdonnement de la structure, les crépitements du feu nucléaire et l'irradiation permanente de chacun ajoutaient au spectacle magnifique de la réalisation de la prophétie du post-exotisme. Debout le prisonnier, mi-loup, mi-homme, nu dans le décor, épuisé de sa marche et de sa peur, finissait toujours par s'effondrer ne sachant plus s'il rêvait ou vivait. C'était le signal. La cérémonie prenait fin. Et les incantations terminales, les embrassades tournaient alors à l'orgie nécessaire des mélanges physiologiques et génétiques pour perpétuer la race. Le langage de queue prenait le pouvoir. Le prisonnier repartait avec l'autre groupe, il sera libéré sur le chemin du retour après trois lunes neuves et deux soleils.
Dans l'obscurité de sa boîte de métal gris, dans la tiédeur des poils argentés du lièvre, on rangeait le Livre. Alors personne ne pouvait voir briller de tous ses feux, sur la couverture du Livre, l'inscription : Terminus radieux...."
Le Comité de Vigilance Brutaliste.


Terminus Radieux
Antoine Volodine (qui m'excusera de ma manière)
Fiction et Cie, Seuil.
à lire absolument.

Pas si simple de trouver des cartes postales s'amusant de ce livre superbe.
Je vous en propose trois qui ne pourront, j'espère, que vous donner envie de le lire.
Pour ma part, depuis la Maison des Feuilles de Danielewski, je n'ai rien lu d'aussi troublant.




















Par ordre d'apparition :
- Rotterdam, Maastunnel, ui'grave SPARO.
- Génissiat, vue générale, barrage et usine, Cliché Boyer, Lyon.
- Blaye, la grande découverte, édition C.E.P.A.C.I. M, photo : A. Lourenço, 1986.


lundi 22 décembre 2014

Archives 01



Sans doute l'un des livres les plus importants de cette fin d'année.
Archives 01 est un petit livre par son format mais un grand ouvrage par sa destinée.
Ce format à l'italienne rappelle ici celui de nos cartes postales. Et beaucoup de sa qualité vient aussi de cette proximité avec le creux de la main. Pas de grandiloquence éditoriale.
Des centaines de photographies de ce que deviennent, ou sont, les grands ensembles, photographiés à hauteur d'yeux, ne laissant rien paraître d'une forme spécifique, d'une attitude, ou peut-être alors une mécanique.
Il ne faudrait pas trop vite chanter ici une objectivité tant aujourd'hui celle-ci est usée mais plus certainement une forme respectueuse, c'est-à-dire justement, sans forme de jugement a priori, avant de venir voir.
Les photographies sont de Adel Tincelin.
Ce qui frappe, c'est l'incivilité. C'est son esthétisme en quelque sorte. Ce que je veux dire c'est que cette incivilité n'est pas seulement celle de la poubelle éventrée, de la Clio mal garée, du tag sous la fenêtre. Non, c'est celle aussi des politiques urbaines, des abandons des populations, des ayants-droits des lieux qui autorisent ou non la promenade. J'ai vécu cette expérience dans les Hauts-de-Rouen, du caïd culturel qui nomme les lieux possibles, et donne son nom comme un passe-droit en cas de souci, en étant certain de faire là un acte de liaison alors même qu'il accepte et même, de la sorte, valide l'exclusion.
Il y a dans ce livre une fatigue profonde qui monte. Elle monte dans des vases communicants entre la politique nécessaire et la réalité affolante. Et le chantier des politiques urbaines montre à la fois la nécessité de faire quelque chose et la manière désolante dans laquelle c'est fait.
En fermant ce livre, j'ai dit adieu à ces paysages. Ce n'est plus la peine. Ils ont raison, il faut tout raser. La tonalité insupportable du rose ocre blanc des peintures des façades qui a surgi partout pour adoucir les barres devient laiteuse, vomitive. Les photographies d'Adel Tincelin sont blanches souvent, un rien surexposées comme pour tranquilliser. Il faut fouiller les images pour trouver les drames, les petites vies et c'est tant mieux. La couleur c'est souvent un tube de plastique rouge d'un chantier. Même pas ici, l'explosion qui se voudrait signifiante des couleurs des graffitis pour faire semblant d'une créativité. On finit par s'en foutre de ceux qui vivent là. On les oublie. De toute manière, ils ne veulent pas être sur les photographies, ils ne veulent pas qu'on leur tire le portrait. Ils ont raison, ils furent trahis. Alors, pour parler d'eux, ils laissent la parole au vide vertigineux des espaces désertés du petit matin, ce temps que l'on conseille toujours pour faire des photographies de la banlieue car les petits dealers dorment encore sous les posters de Rihanna et de Riberi. Les grands ensembles ont toujours cette lumière couvrante, un peu sèche de ce moment de la journée. Ils ont perdu les ciels bleus et les ciels gris de mes cartes postales. Ils ont tout perdu.
Faisons table rase. Allez ! Grignote doucement ! Ça fait moins mal et surtout ça ne fait pas semblant de laisser de temps pour une nostalgie instantanée et esthétisante d'une implosion à la Mathieu Pernot.
Dans ce livre, pas de jugement verbeux, pas d'opinion sur image. On ne fait pas semblant que les grands noms de l'architecture ont œuvré là, ont tenté quelque chose. Tout passe pareil.
Les photographies d'Adel Tincelin passent devant ce travail en oubliant cette attention mais que voulez-vous, voyez ce qui en a été fait. Pourquoi chanter le génie d'un plan, l'efficacité du tracé quand le territoire est dessiné non plus par le "vivre ensemble" mais par les territoires de reventes. Ça n'aurait aucun sens.
Tout est pauvre. Tout, surtout, fut appauvri.
Le livre comporte en son centre un texte où les auteures rappellent plusieurs fois qu'elles sont journalistes. On ne sait même pas bien qui prend la parole. Qui est ce je ? Une fiction ? Mais là aussi, la force vient d'une forme de dépression du jugement. Pour une fois, pas de citation de Guy Debord, pas de citation de Foucault.  Pas de cette sociologie abusive et mal apprise qui serait utilisée comme une autorisation au travail. Pas non plus de cri de désespoir, de revendications, de désir d'appartenir à l'exclusion pour être dans le coup avec la jeunesse. On ne vient pas s'encanailler. C'est donc possible. On y a aimé, on y a vécu, on y revient, on regarde, on cadre, on publie.
Les photographies ont cette qualité étrange, arborant parfois fièrement une poésie du détail, l'ombre portée d'un arbre, la construction d'un pan de couleur ou laissant croire à une distance de constat. On balance entre Atget et la DATAR, entre Stephen Shore et le M.R.U. C'est ce qui en fait la beauté, celle d'une accessibilité possible, d'une familiarité. On ne tente pas de nous vendre la beauté de l'essor du chantier, ni l'arrogance voyou d'un grand reporter en mission.
On regrettera seulement l'absence quasi-totale des noms des architectes, sinon la qualité éditoriale est parfaite pour la reproduction des images, le graphisme et la mise en page. Un vrai bel objet éditorial.

Tout est calme.
Dans l'ombre d'un arbre, une camionnette de C. R. S. fait son travail un peu au loin. Pas d'événement. Son travail. Il faut que quelqu'un le fasse.

Archives 01 est un livre historique.

(je vais de ce pas en commander un deuxième exemplaire.)


Archives 01

La rénovation urbaine en Ile-de-France/Seine-Saint-Denis/Paris/ 2010-2012
Photographies : Adel Tincelin
Textes : Adel Tincelin, Nathalie Perrier
éditions Illimitées
ISBN 978-2-9537412-0-9
















mercredi 17 décembre 2014

Machine à vertige



Par dessus la rambarde, Gilles braquait son Canon vers le bas de la tour d'observation de Rotterdam. Il avait eu la chance d'obtenir l'autorisation exceptionnelle de monter sur la flèche qui termine ainsi la tour et qui, d'habitude, n'est pas accessible.
Depuis maintenant 6 ans, il était devenu un photographe professionnel spécialisé dans l'architecture et l'industrie. Il avait trouvé là le compromis idéal entre l'atavisme familial et l'abandon de ses études d'architecte que, de toute manière, il n'arrivait plus à suivre en Allemagne.
Il avait fait deux petites expositions de ses clichés à Berlin puis à Dresde et c'est là qu'il avait été contacté suite à un article dans un journal local par une agence de photographie industrielle. Il avait rempli un premier contrat assez simple en couvrant la construction de logements sociaux puis, rapidement, des chantiers spectaculaires lui furent confiés. On aimait son audace, son cadrage, le respect des gens qui y évoluent et aussi son délicieux accent français.
Son corps plié vers le vide, l'appareil bien maintenu, il essayait tout de même en ce jour de faire son travail et s'amusait des tentatives de Hans resté en bas de lui faire des signes pour qu'il y réponde.
Ils formaient maintenant un couple solide que rien ne pourrait séparer. Hans avait stoppé ses activités de hockeyeur et travaillait comme moniteur de voile. Ils regardaient tout deux la vie s'écouler tranquillement, rythmée par les visites de Momo, Sidonie et du petit Alvar, leur fils que Hans et Gilles pourrissaient de cadeaux. Alvar aimait beaucoup son oncle Hans qui lui apprenait la voile et le patin à glace.
Gilles sentit soudain une vibration du côté du cœur, puis un flou devant ses yeux et un étourdissement puissant. Il ne put se retenir et vomit tout le repas du midi. En même temps qu'il sentait un soulagement réel après cet incident, il rit d'un coup en songeant au devenir de ce qui venait de quitter son corps et qui tombait de toute la hauteur de la tour, tranquillement vers le bas de celle-ci.
Pourrait-il raconter cela à Hans ? Oui ! Et à Alvar qui du haut de ses 6 ans rira certainement beaucoup.
Alors que le technicien s'inquiétait de lui et lui intimait l'ordre de redescendre, Gilles pris encore quelques clichés à la volée. La descente fut vraiment superbe et le vent froid venait réveiller Gilles et le remettre d'aplomb.
Il laissa le technicien sur la plate-forme publique envahie de touristes en short et de gamins hurlants et joyeux. Là, l'attendait Hans avec ses lunettes aveuglées de miroir et à la main quelques cartes postales achetées et même déjà écrites. Il ne restait à Gilles qu'à les signer comme à son habitude. Pour Alvar, Hans avait choisi une carte avec des bateaux et il avait fait une croix pour montrer à l'enfant jusqu'où était monté Gilles.





Et pour Jean-Michel et Jocelyne, Hans avait trouvé amusant d'envoyer une carte postale montrant la tour pas encore achevée ce qui étonna beaucoup Gilles qui se demanda comment il était encore possible d'en trouver ici.
Gilles alla se rincer la bouche et raconta son aventure à Hans qui rit de bon cœur et rassura Gilles sur le fait que personne n'avait, semble-t-il, reçu de pluie étrange ici...
La main libre de Hans se remplit de celle de Gilles. Ils partirent en souriant de cette altitude artificielle, machine à vertige.

Par ordre d'apparition :
Rotterdam, plate-forme 100m, Hauteur 185m, pas d'éditeur.

Merci à Laurent Patart pour cette incroyable carte postale !

Rotterdam, Euromast, space Tower, Euro Color Cards.
Rotterdam Euromast, Spanjersberg éditeur, photo : KLM Aerocarto.

lundi 15 décembre 2014

Les non-lieux n'existent pas



D'abord il convient de dire la stupeur.
L'écart avec notre époque est tel que l'on a du mal à ne pas d'abord dire son effroi (ici sans peur) pour une telle image et, surtout, pour sa diffusion en carte postale.
Décomposons.
Le photographe très bas dans l'image cadre le raccord entre la chaufferie et l'immeuble, il cadre la trouée entre les deux. Mettant la fuyante de la barre sur sa gauche et en abaissant son point de vue, il génère une fuite plus accentuée qui contrastera davantage les deux éléments : la chaufferie à droite et l'habitat à gauche, au fond le petit pavillonnaire.
Oui, au fait, nous sommes sur la Z.U.P de la Chenôve, près de Dijon grâce à une édition D. L. qui ne sont pas ici les initiales de mon nom je vous l'assure !
Les herbes folles du premier plan disent bien la jeunesse du lieu ainsi que les arbustes encore jeunes plantés en cercle entre les deux constructions.
Une petite Renault 4 nous permet d'avoir l'échelle et signe une présence humaine sinon absente de l'image. Personne.






J'entends les sirènes de notre monde, j'entends que ça fuse : le non-lieu, la fameuse (et usée ?) notion d'hétérotopie.
D'abord, il faut reconnaître que ce que nous voyons nous ne le voyons pas comme le photographe. Il vient là pour composer la modernité naissante, il vient là parce qu'il y aura des gens pour s'y reconnaître, il vient là parce qu'il y a un objet remarquable : une chaufferie moderne et même... belle.
Il n'y a sans aucun doute aucun cynisme dans le rapprochement des deux objets, il n'y a pas le désir de perdre le chercheur (non Madame l'historienne), il n'y a que le désir de faire voir.
Faire, voir.
Faire une image, un document, un service. Voir un lieu étonnant, curieux et même on dirait pittoresque, non pas tant dans le domaine de la peinture mais dans le domaine d'une attention du regard et d'une époque. Cette carte postale est une déclaration d'attention, le signe historique que ce monde fut embrassé et saisi dans son espace-temps, sa révolution. Certains d'entre nous y ont vécu. C'est chez eux.
Alors notre bouche bée, nos yeux écarquillés ont tout de même raison de l'être aujourd'hui parce que nous avons perdu ce sens. Nous y projetons une indifférence qui pourtant ici fait image. Même, sans doute pour certains d'entre nous un dégoût. L'histoire des grands ensembles, l'imagerie imposée par une histoire sociale et politique nous ont dit qu'il fallait ne plus aimer cela, que ce fut une catastrophe, une errance du modernisme. Et nous plongeons dans ce plaisir délicat d'aimer l'indigent en feignant de ne pas vouloir le comprendre à nouveau, d'en chercher l'origine. On notera que l'éditeur n'a pas peur d'inscrire Z.U.P, pas peur d'inscrire le mot chaufferie. Il nomme ce qui aujourd'hui nous étonne comme titre possible. Ce vocabulaire est accepté et il ne trompe personne. Il est, c'est tout.
Et l'on sourit à ces images. J'ai souri à ces images avec vous, j'essaie maintenant d'en apprendre le sens.
À gauche il y a un effort, une tentative, un architecte Monsieur Calsat qui a une œuvre méritante. Et à droite, il y a un objet technique bien dessiné, curieux, à la masse ici sombre et inquiétante. Il faut redonner les noms pour comprendre que cette carte postale surprenante est aussi une photographie passionnante.
Une époque où ces lieux avaient du sens et surtout un rôle immense : loger.
C'est un terrain de recherches, pas un non-lieu. C'est même un point. Quelques millièmes de seconde dans le temps et l'appui serein d'un pied et d'un genou à terre pour cadrer. Tout est dans le cadre. Tout.
Et j'aime cette image parce qu'elle est un lieu. Je le redis :
C'est chez eux.






dimanche 14 décembre 2014

Civilisation béton

Nous allons retourner dans un lieu que nous avons visité il y a peu.
Nous allons voir, revoir, l'un des plus beaux musées de France : le Musée de la Civilisation gallo-romaine à Lyon par Bernard Zehrfuss.
On verra que pour une fois, sans doute parce que le musée n'offre que peu à voir depuis son extérieur, les photographes sont bien obligés d'entrer à l'intérieur !
L'objet enfoui ne se donnant à voir dans sa structure et son déploiement spatial que par sa pénétration, les images des salles et des collections sont bien les lieux à voir, faisant image pour ce musée.
Quelle merveille !
Peu de constructions en France proposent une telle intelligence du site, donnant tout à la fois une intégration totale, espérant presque la disparition, en faisant en quelque sorte de cette disparition l'objet même de son étude, tout en affirmant aussi solidement sa structure, sa puissance et même sous cet enfouissement, son ambition constructive.
Laissée partout apparente, la structure solide de béton brut fait le spectacle des salles tout contre les œuvres exposées qui doivent offrir à leur tour, tout leur potentiel plastique pour accorder leurs formes et leurs matières avec le musée.
C'est parfaitement réussi.
Je vous invite d'emblée à y aller voir mais également à aller faire un tour sur le site de la Cité de l'Architecture et du Patrimoine qui vous offre virtuellement une superbe visite du lieu et des documents de sa genèse. C'est très bien fait et d'une grande clarté sur les enjeux constructifs de Bernard Zehrfuss.
Allez là :

http://www.citechaillot.fr/ressources/expositions_virtuelles/EXPO-ZEHRFUSS/08-PARTIE.html

Commençons la visite :



Voici le hall d'entrée et on reconnaît bien ici le trou superbe de notre escalier vu sur cette autre carte postale. On aimera l'idée superbe de cette rangée de céramiques venant dialoguer remarquablement avec l'architecture et cette couleur bleue dont il est difficile de dire d'où elle provient ! Le ciel ?
La photographie de cette carte postale est de Gamet.



Cette carte postale nous permet de comprendre un peu mieux le principe constructif de ces salles avec ces arcades, ces ponts de béton qui voûtent les salles.
On remarque encore que le béton n'est pas recouvert, qu'il se joue des lumières et des objets et que la patine d'un bronze s'accorde parfaitement avec ce matériau. La muséographie y est aussi exceptionnelle.
Sans doute que l'effet cryptique de l'ensemble oblige à une forme de recueillement et d'attention aux objets devenant de fait, les fenêtres vers des mondes engloutis.
Vous réclamiez le dehors ?
Le voici :



Comment ne pas aimer le cadrage puissant des grandes baies qui soudain dedans comme dehors imposent leur force. Juste retour sur le monde, elles ouvrent le musée sur le vivant d'une manière spectaculaire et radicale.
Savoir cadrer est aussi le travail de l'architecte et ici, Bernard Zehrfuss tout en nous offrant une intimité presque tombale réussit l'exploit d'ouvrir la grotte.
Les Mondes disparus sont illuminés autant par la lumière que par la surprise de se rappeler que dehors un autre monde s'agite.
Je vous le dis, c'est l'un des plus beaux musées du monde.
L'ensemble de ces cartes postales est édité par les amis du musée de la Civilisation gallo-romaine et les photographies sont de Gamet.