samedi 31 janvier 2015

Le majeur et l'annulaire

La caméra venait d'être installée devant Jean-Michel qui était enfoncé au fond de son fauteuil, un peu goguenard et également, finalement, un rien intimidé.
Gilles avait obtenu une commande publique et devait réaliser un documentaire vidéo et photographique sur les acteurs de la Reconstruction. Il lui avait semblé normal que son père puisse raconter son expérience comme acteur de celle-ci, surtout pour ce qui est un domaine moins connu de l'ingénieur.
Jean-Michel avait accepté tout de suite, surtout que depuis peu, il aimait avec son petit fils Alvar, remettre au présent son histoire. Alvar était d'ailleurs présent et il aidait son oncle avec ferveur, heureux d'apprendre le fonctionnement ici de la caméra, là de la lumière. Et puis Hans était aussi venu et il y avait entre ce dernier et Alvar, depuis toujours, une complicité incroyable. La petite troupe bourdonnait autour de Jean-Michel, seule, Émilie était tranquille et regardait Jean-Michel droit dans les yeux. Elle était journaliste pour cette occasion et avait été embauchée par le Ministère pour ces interviews. Brune, cheveux courts, yeux pétillants, elle était brillante et finissait son Master intitulé Parallélisme des structures d'enseignement et des structures industrielles de la Reconstruction : réseaux d'ingénieurs et réseaux d'industrie. 
Dans sa main, elle tenait délicatement le numéro de 1950 de l'Architecture d'Aujourd'hui que Alvar venait de lui montrer et qu'il avait trouvé parfaitement rangé dans la bibliothèque de Jean-Michel.
- Il est beau, dit-elle à Jean-Michel.
- Oh oui ! C'est un beau garçon Alvar. Reprit le grand-père, un peu interloqué de l'aplomb de la jeune femme.
- Ah non non ! Excusez-moi, je parlais de ce numéro de la revue !
Émilie était étonnée et troublée de cette erreur. Mais elle affirma de suite :
- Mais c'est vrai aussi, vous avez raison, il est beau.
Elle offrit alors un sourire large à Jean-Michel qui comprit la franchise et l'intelligence de la jeune femme. Immédiatement complices dans cette situation, Émilie et Jean-Michel se faisaient maintenant des regards appuyés à chaque approche d'Alvar autour du duo. Et quand ce dernier vint fixer le micro sur le revers de la veste d'Émilie, il ne put voir le sourire de son grand-père et le clin d'œil appuyé d'Émilie.
- Il y a un chantier auquel vous avez participé dans ce numéro ? Demanda Émilie.
- Oui, j'ai travaillé avec Guth pour Mulhouse, l'un de mes premiers chantiers. J'étais très et trop jeune. Mais il fallait que tout le monde se mette au travail en 50.



- Comment aviez-vous été embauché ? Vous connaissiez l'architecte ? Émilie commençait à prendre des notes.
- Non, ils sont venus dans les écoles. Je n'ai pas eu le choix, le directeur de l'École m'a fait venir dans son bureau et m'a dit que je devais être dans deux jours à Mulhouse sur le chantier. C'était comme ça à l'époque. Je n'avais même pas terminé mon diplôme ! Il me fut envoyé par la poste avec dérogation du M.R.U quinze jours plus tard ! Mais c'était nécessaire, la France avait besoin de nous. Il y avait une urgence mêlée à une ferveur, on croyait en sa jeunesse et elle était responsabilisée. Ce mélange de confiance et de nécessité vous donnait une force incroyable et on n'avait pas le temps d'avoir des doutes. Et...
- Pardon mais votre spécialité était le calcul des structures ?
- Oui. J'avais des qualités pour le calcul et aussi j'aimais le chantier. J'avais découvert ça en voyant plus jeune, la construction d'un pont Freyssinet dans ma région.
- Vous avez travaillé pour Freyssinet ?
- Ah non non ! Ni pour Perret malheureusement ! Je les ai loupés de peu. Je suis allé au Havre pour un petit chantier mais c'était déjà joué ! C'est l'un de mes regrets.
- Revenons à Mulhouse et à Guth. L'immeuble annulaire vous semble-t-il aujourd'hui encore intéressant comme forme urbaine ?
- Je ne suis pas certain que ce soit à moi d'évoquer cela. Vous savez aujourd'hui tout le monde donne son avis, on ne sait plus si c'est un ingénieur, un architecte ou un urbaniste qui parle. Je peux parler avec vous de la qualité constructive, de l'économie mise en place par sa structure mais savoir si la forme de cet immeuble répond à une nécessité urbanistique... Je laisse ça aux critiques d'architecture.
- Mais vous avez bien une idée de comment cette architecture fut reçue à l'époque ?
- Émilie, vous permettez que je vous appelle Émilie... Donner son avis c'est bien la maladie contemporaine... J'avais 21 ans, j'étais majeur depuis trois semaines et j'étais responsable d'une partie du chantier, j'avais des architectes, des représentants des entreprises du BTP qui lorgnaient sur mes dessins et mes calculs, les uns voulant une économie et une rapidité et surtout que tout soit possible, les autres n'ayant que le profit et les comptes en tête. Alors l'architecture... Je la regardais en partant du chantier, après la dernière coulée et je prenais mon train vers un autre ! Mais ce que je peux vous dire, c'est que j'ai toujours toujours dans ces années entendu une seule chose : être au service de la population, offrir le meilleur dans l'urgence. Il y avait un élan et cette énergie donnait des formes. C'est tout.
- Votre indépendance vous aurait permis de faire des choix.
- Sans doute, je l'ai fait un peu. Mais je voulais tout faire, tout voir. J'étais enivré par l'énergie et mon indépendance naissante. Tout allait si vite ! Je vivais dans ma Traction et dans les trains, mon bureau était le coffre arrière de la bagnole... J'arrivais dans des cabanes de chantier, on me donnait une chambre souvent chez l'habitant, parfois même dans la construction même ! À Royan, j'ai dormi dans le Front de mer avant sa livraison ! On s'amusait bien, dormir rouler dans les couvertures kaki des américains et avoir la mer comme salle d'eau...Vous imaginez ça aujourd'hui...
- Je parie qu'il te raconte qu'il a dormi dans les chantiers...
Alvar venait de s'asseoir à côté d'Émilie et prenait le fil de la conversation.
- Oui ! Mais c'est beau votre empressement, Jean-Michel.
- Ah tu vois ! Alvar ! Émilie elle, elle les aime bien mes histoires.
- Mais moi aussi grand-père !
- Reprenons... Comment croyez-vous que les relations entre votre profession et celle d'architecte étaient organisées à l'époque ? Aviez-vous un sentiment particulier sur ce duo de l'architecture ?
- La confiance était le maître mot, Émilie, et aussi, il faut le dire, l'éducation. Les architectes étaient d'excellents visionnaires en structure et connaissaient très bien leur métier. J'ai presque autant appris auprès d'eux alors qu'à l'école. Je n'ai jamais eu la sensation d'être mis à part ou jugé rapidement. Vous savez, ce qu'on me demandait était simple : il y avait un désir, il fallait faire économique et donc léger et donc tout devait tenir par cette structure. Dans le logement social, un mur est un mur pour deux logements, votre plancher est le plafond du voisin du dessous. Tout tient dans cette équation. Le système constructif doit maintenir debout la construction avec le minimum de matériau tout en satisfaisant les inventeurs de procédés lourds ou légers. Il faut vendre du béton et du ferraillage et il faut vendre de la rapidité avant même de vendre du logement. Il y a ceux qui pensent à loger et ceux qui pensent à habiter... Ce ne sont pas les mêmes gens... Croyez-moi. On peut déloger... C'est plus dur de déshabiter...
- Vous avez fait uniquement du logement social dans votre agence ?
- Non, mais c'est par là que j'ai commencé et fait progresser le cabinet. Notre ennemi étant la préfabrication lourde car, alors, une fois le modèle inventé, ils n'avaient plus besoin de nous ! Ils ont d'ailleurs essayé de m'intégrer à leur entreprise, j'ai dû renoncer à l'époque à une dizaine de postes de contrôleur-structure. Il n'y avait rien à faire, on allait constater que la mise en œuvre était juste au cahier des charges et après, on laissait la machine et la grue faire quasiment seule le boulot. Quel ennui ! Non, j'ai repris mon indépendance au risque de n'avoir pas de travail mais, heureusement à cette période... On en avait !
- Mais tu aimais l'esprit du logement social non ? Tu me dis toujours que c'était le plus important pour toi ?
- Oui Alvar, il y avait de belles occasions, des aventures et on était au service des gens. Parfois, alors que le béton coulait encore dans les bois, on voyait sur une partie du chantier terminé, les matelas et les armoires monter dans les étages, portés par les familles trouvant là un logement neuf et moderne. Combien de fois ai-je dû boire un verre de vin ou de goutte avec les familles et les maçons pour un emménagement ! Ça c'est l'honneur de notre métier. Je me souviens d'un garçonnet qui ouvrait et fermait sans cesse un robinet de la cuisine, surpris qu'il était de voir l'eau courante !
- Et ici pour Mulhouse ?
- Guth avait eu l'idée de l'anneau, d'une construction annulaire pour redessiner la ville et offrir au centre de l'immeuble un jardin libre de toute circulation. Il avait aussi fait des gradins sur les bords pour laisser la lumière entrer dans ce cercle. C'était une très belle idée. Eh bien, voyez-vous, il y avait des politiques qui pensaient que c'était là de la perte de volumes et d'espaces habitables et qu'il fallait construire totalement le cylindre. J'avais dû, auprès d'un jeune homme de mon âge, élu dans l'équipe municipale, arguer que la structure n'avait pas été calculée pour tenir des étages supplémentaires ! Vous imaginez le mensonge !
Hans annonça un problème technique. On mit sur pause. Émilie croisa ses jambes. Alvar croisa ses yeux. Jean-Michel appela Jocelyne. Jocelyne arriva avec un plateau plein de rafraîchissements. Le numéro abandonné de l'Architecture d'Aujourd'hui mise en page par Pierre Faucheux, dans son bleu-blanc-rouge, faisait soudain un contre-point idéal à la toile de jute épaisse du sofa. Alvar et Émilie oublièrent quelque temps la Reconstruction.










Merci à Daniel Leclercq pour cet envoi.
La carte postale est un cliché des Éditions Aériennes Combier.

jeudi 29 janvier 2015

Moi je préfère manger à la cantine de Wogenscky et Corbu !



Enfin !
Enfin cette carte postale de la cantine de Marçon est arrivée dans ma collection !
Une édition André Roncière de 1966 qui, curieusement nomme bien le Corbusier comme architecte mais oublie André Wogenscky !
Il y a peu de bâtiments auxquels je tiens autant.
Les raisons en sont multiples : d'abord c'est une architecture modeste, dans une France de la campagne, un peu oubliée des livres d'histoires de l'architecture moderne. Ensuite parce que j'ai découvert cet objet grâce à mon collègue David Mickael Clarke et que nous avions décidé de le visiter avec les étudiants et c'est à cette occasion que j'ai rencontré Nicolas Hérisson qui s'occupe de Piacé le Radieux.
Mais aussi parce que cette cantine scolaire a une belle histoire, celle d'un maire jeune et dynamique, Monsieur Armand de Malherbe, désireux suite à un voyage au U.S.A de donner à sa petite ville un bel objet architectural digne de la Modernité et qui, suite au contact avec l'agence de Le Corbusier a vu le chantier confié à André Wogenscky qui a fait ici, sous le regard du Maître, une architecture totale, ayant saisi toutes les qualités de cette révolution. Ce maire a simplement offert à sa ville un chef-d'œuvre.
La modestie de la construction, l'ensemble superbe des petits détails, la reconnaissance immédiate pourtant de cette "forme moderne" font de la cantine scolaire de Marçon un objet précieux, touchant, et beau.
Maintenant que cette cantine scolaire se voit défaite de sa fonction pour des raisons de normes (ah les normes...), il convient d'être extrêmement attentif à son devenir et à son état.
La reconversion d'un espace plein d'une mémoire bruyante de milliers de repas d'enfants ne devra faire qu'une seule chose : respecter la totalité du lieu.
Je vous remontre pour fêter l'arrivée de la carte postale quelques clichés réalisés lors de cet atelier avec les étudiants. N'oublions pas que Marçon possède également un superbe Club des Jeunes qu'il faut aussi conserver et visiter !
Pour en savoir plus sur la cantine scolaire de Marçon, vous pouvez aller la voir ou bien aller lire ici :
http://www.caue44.com/IMG/pdf/fichemarcon.pdf
On notera qu'aujourd'hui, la cantine de Marçon est environnée d'une architecture particulièrement indigente et semble prise au piège de son espace. C'est dommage.
Et ayons une pensée amusée pour tous les enfants venus là manger, avec dans la tête ce refrain joyeux :



Notez les lampes qui éclairent la rampe et qui ont disparu :


















Voici Monsieur le Maire de Marçon, Armand de Malherbe, qui a su offrir à sa ville une architecture digne, humaniste et belle. Il nous a accueilli gentiment,  il a répondu à toutes nos questions avec simplicité. Merci !



dimanche 25 janvier 2015

Tout est juste chez Pouillon

Alvar poursuivait en ce dimanche le tri des papiers et des archives de son grand-père Jean-Michel. Sur la grande table blanche de bois brut dessinée par l'ingénieur, table puissante donnant l'impression qu'on aurait pu en faire une dalle pour une maison, les documents s'étalaient, se répandaient sans retenue aucune, de manière presque impudique.
- Je te rappelle que l'idée c'est que tu classes pas que tu ajoutes du désordre, affirma Jean-Michel à son petit-fils Alvar.
- Mais sois confiant ! Regarde déjà tout ce que nous sommes d'accord pour jeter ! Un demi-mètre cube de papiers inutiles !
- Oui tu as raison, c'est juste que ton foutoir n'est pas le mien et que mon ordre n'est pas le tien non plus.
Alvar avait fait un tas de cartes postales, de lettres, de livres, de documents techniques séparés en deux tas à leur tour : documents provenant de l'agence de Jean-Michel et ceux provenant des autres professions. Il y avait aussi un tas de papiers indéterminés allant du guide bleu du sud-ouest annoté des lieux visités par le grand-père, au dépliant touristique de Royan de 1961, en passant par les coupures de presse sur les constructions dessinées par le grand-père et son agence.
- C'est Jocelyne qui s'occupait de ce découpage, pour ma part j'ai toujours trouvé ça ridicule.
- Non, tu te trompes elle a bien fait, regarde c'est intéressant tout de même de suivre ainsi l'histoire de ton agence et la manière dont on en parlait...
- ... ou pas, Alvar ! Ou pas ! On nomme déjà difficilement les architectes alors les agences d'ingénierie...
Dans la main d'Alvar, un document l'arrêta net dans sa recherche. Une carte postale signée de Jean-Michel qui évoquait son voyage au Maroc avec Mohamed, le père d'Alvar, adopté par le couple.
- "Oh, la vache... enfin... tiens... et merde..."
Alvar avait tourné la tête, submergé soudain par une émotion forte qu'il voulait, depuis sa vingtaine d'année, garder digne.
- Mais qu'est-ce qui se passe mon garçon ? demanda le grand-père un peu interloqué.
Alvar tendit la carte à son grand-père.
- Ah, je comprends... Et alors ? C'est l'une des choses dont nous sommes avec ta grand-mère et Yasmina, le plus fiers. Ton père, il faut dire qu'il nous en a donné des émotions à son tour !"
- C'est juste que ça remonte. Hoqueta Alvar.
- Il faut que ça remonte mon grand ! Il faut ! Tu sais ce qu'on va faire ? Tu vas lui envoyer cette carte à lui, tu vas faire ça. Et comme ça tu pourras avoir un point d'accroche pour entamer avec lui la conversation là-dessus.
- Je ne suis pas certain d'avoir envie de lui en parler.
- Ce n'est pas une envie, c'est une histoire, ton histoire, tu dois l'apprendre de toutes les bouches.
- Oui, tu crois.
- Et tu devrais aller au Maroc avec lui, Sidonie et Yasmina. Vous devriez tous aller au Maroc. Tu dois y aller.
- Papa il a des souvenirs du Maroc ? Il était petit quand ils sont partis avec Mamie Yasmina.
- Oui, tout petit, 4 ou 5 ans, demande à Jocelyne. Mais Momo est venu avec moi à ses 15 ans pour les papiers. Il doit aussi se souvenir de ça. Il avait une de ces trouilles qu'on le laisse là-bas. Il a toujours eu peur qu'on l'abandonne, toujours. Et si il a fait le même métier que moi, c'est aussi sans doute pour maintenir un contact permanent. Tu sais, ton père, il fanfaronne mais c'est un fragile. Tiens, comme toi."
- Bah, j'suis pas fragile !
- Oh dis, non et comment ! Pudique, je veux dire, pudique.
Un silence.
Un sourire simultané sur les deux visages. Alvar plongea sa main de nouveau dans le tas de papiers et reprit le tri.
- Tiens, regarde Papy, une carte d'Alger, de Diaressou, Diaresaa...
- Diar-Es-Saada, sans doute ! Précisa Jean-Michel.
- Oui ! C'est ça et dis-donc, elle est signée de Pouillon.
- Oui et alors ? Fernand c'était un sacré bonhomme et j'aimais bien travailler avec lui mais il était droit comme sa tour et aussi bien certain de ce qu'il voulait !
- Et il envoyait des cartes postales ?
- Non, en fait, c'était pour nous montrer à nous à l'agence à Paris, que c'est lui qui avait raison sur l'ordonnancement de sa façade. Et tu sais... Il avait raison !
- "Mon dessin, votre fonction. Fernand Pouillon". C'est ce qui est écrit. C'est concis !
- ... et juste, si juste ! Tout est juste chez le grand Pouillon.




Alger, Diar-Es-Saada, la Tour, place des Palmiers et les cascades.
Editions JOMONE, Alger. Pas de date.
Et, malheureusement pas signée de Pouillon...




mercredi 21 janvier 2015

Plan herbu



















Depuis une hauteur, on regarde un plan herbu grossièrement dessiné que quelques automobiles définissent comme un parking. Il n'y a personne, presque.
À une fenêtre, du linge sèche.
Des petits immeubles dont les façades sont surtout marquées par une alternance d'escaliers très fortement dessinés et d'ouvertures régulières qui se répandent en bande.
Le noir et blanc de cette carte postale, une fois encore, donne à l'ensemble, quelque chose de dur mais aussi d'incroyablement graphique et même mécanique faisant monter la structure constructive.
Nous sommes à Aulnay-sous-Bois, dans les Cités Emmaüs comme nous en informent les éditions Cap.
Sans doute, dans l'histoire du logement social et du logement d'urgence, l'une des réalisations les plus documentées, les plus suivies et les plus exemplaires tant par la manière dont elle émerge sous l'impulsion de l'Abbé Pierre que par les solutions économiques trouvées par l'AT-BAT et l'équipe autour de Georges Candilis.
Car un bâtiment est toujours une forme déterminée dans sa forme par des raisons que la raison ne doit pas ignorer. Et cette peau extérieure ici qui pourrait être vite jugée dans son image, porte bien des solutions, des économies qui déterminent son esthétique. 



Voyez-vous le garçon ?



















"Un maximum de confort dans un minimum de prix" c'est comme ça que commence l'article que L'architecture d'aujourd'hui consacre à l'opération. Viennent ensuite l'ensemble des solutions avec l'incroyable définition de l'escalier comme "une coursive en biais" (sic !)
L'article nous montre des plans et des dessins, sans doute que l'opération n'est pas achevée. Une vue perspective nous montre une vision idéale de l'appartement, vision idyllique et un rien allongée pour laquelle j'ai un peu de mal à faire le raccord avec le dessin du plan, j'avoue.
Dans ce numéro, Georges Candilis fait une préface juste après une image de soute de navire négrier. Quel drôle de manière d'introduire le sujet de l'habitat collectif ! Que voulaient nous dire Monsieur Persitz et Danielle Valeix avec cette image ? Est-elle un constat accablant de l'existant ? Doit-elle agir comme l'anti-thèse parfaite de ce qu'il ne faut pas faire et du risque du traitement de l'urgence et du collectif ? Sans aucun doute. Georges Candilis, dans cette préface, pose la question de l'héritage de la Chartes d'Athènes, héritage bafoué par l'urgence de l'après-guerre. Il y parle de "style reconstruction", c'est lui qui met les guillemets. Georges Candilis affirme que le plus important est le plan masse qui détermine en quelque sorte la liaison entre l'urbaniste et l'architecte : le problème c'est le nombre, la solution c'est la trame. Candilis affirme ici également que l'architecture doit diffuser dans ses extérieurs, doit se poursuivre vers les espaces non-construits qui sont pensés alors comme des espaces pensés et non abandonnés. 
Alors ? Que s'est-il passé à Aulnay-sous-Bois ? Pourquoi avons-nous cette sensation que l'immeuble s'achève au pied des quatre petites marches donnant accès à la coursive en biais ? A-t-on confondu le vide avec l'espace ? A-t-on bafoué une idée au profit d'une économie ? A-t-on fait acte de compromis ?
Le très émouvant petit film trouvé sur internet montre bien que l'espace entre les immeubles des Cités Emmaüs n'est rien. Je veux dire rien de pensé. Un plan herbu planté à peine qui se couvre de neige. Les enfants savent quoi en faire, toujours.
Fallait-il planter des jardins ouvriers ? Fallait-il paysager davantage ? Dans l'article de la revue, aucune mention n'est faite de cet espace, rien n'est dit de cette capillarité entre l'architecture et son lieu. Et un peu comme pour ce dessin de navire négrier où l'au-delà du bateau est un blanc vide qui raconte la mer qui éloigne, sans doute que le plan herbu au pied des immeubles est un territoire inconnu et surtout oublié. Je ne comprends pas. Comment les arguments vrais finissent ainsi dans une lecture perdue mais réelle d'une inaction. Que s'est-il passé ou, mieux, qu'est-ce qui n'est pas passé de cette vision ?












mardi 20 janvier 2015

Félix Dumail, le précurseur

Groupe HBM, St Mandé, Albin Salaün photographe.

On a souvent tendance à croire que l'histoire de l'architecture et surtout, l'histoire de sa modernité ne furent que soubresauts, bonds et révolutions.
Or, il se trouve que cette modernité n'est pas arrivée d'un bloc par quelques prophètes qui font la joie des encyclopédies rapides de l'architecture.
Je reçois un très beau livre : Félix Dumail, architecte de la "Cité-Jardins" dans la collection Carnets d'architectes éditée par les éditions du Patrimoine. Notons que cette collection est maintenant devenue un socle incroyable à notre histoire de l'architecture moderne, socle dont les volumes vont de Arretche, Aillaud, Perret ou encore Jean Bossu à plein d'autres architectes célèbres ou un peu oubliés que cette collection nous donne à voir et apprendre avec toujours un grand sérieux éditorial et scientifique, et aussi une qualité de mise en page superbe. On regrettera l'absence d'architecte femme dans cette collection...
Donc, après la lecture de ce volume sur Félix Dumail me voici tout à fait convaincu que notre modernité et surtout celle liée à l'histoire du logement social doit beaucoup à ce type d'architecte ayant travaillé pour l'essentiel de sa carrière dans des programmes humanistes se mettant au service de l'habitat des plus pauvres avec dignité, qualité et même beauté.
Des cités-jardins au Shape village de St Germain-en-Laye, Félix Dumail accorde attention au plan, à son implantation, au détail pratique ou esthétique pour que l'architecture serve d'abord au logement et donc à l'art de vivre ensemble. D'une discrétion parfaite, presque oublié, Félix Dumail est dans cet ouvrage porté à nouveau sur le devant de la scène démontrant que sa génération un rien à cheval entre le siècle précédent et la modernité des années 20, a su faire œuvre sans attendre la leçon à venir. Et, quand comme moi, on s'intéresse aux logements sociaux des Trente Glorieuses, au Hard French, on trouve dans cette personnalité et dans son œuvre un précurseur vivifiant qui renouvelle l'approche que l'on peut avoir de cette histoire.
Voici donc un livre important !

Félix Dumail, architecte de la Cité-Jardins
Hubert Lempereur
éditions du Patrimoine
isbn-978-2-7577-0340-3

Quelques images mais pas de cartes postales ! Ça viendra...



groupes HBM, Paris, Pascal Lemaître photographe :

groupe HBM de St Mandé, Albin Salaün photographe :


Saint Mandé, Studio Chevojon

Albin Salaün, photographe.

groupe scolaire Pré St Gervais, Albin Salaün photographe

Groupe scolaire Pré St Gervais, Albin Salaün photographe.

Cité-jardins, Pré St Gervais, 

Shape Village, St Germain en Laye, Paul Cadé photographe.

Shape Village, St Germain en laye, Paul Cadé photographe.