dimanche 25 janvier 2015

Tout est juste chez Pouillon

Alvar poursuivait en ce dimanche le tri des papiers et des archives de son grand-père Jean-Michel. Sur la grande table blanche de bois brut dessinée par l'ingénieur, table puissante donnant l'impression qu'on aurait pu en faire une dalle pour une maison, les documents s'étalaient, se répandaient sans retenue aucune, de manière presque impudique.
- Je te rappelle que l'idée c'est que tu classes pas que tu ajoutes du désordre, affirma Jean-Michel à son petit-fils Alvar.
- Mais sois confiant ! Regarde déjà tout ce que nous sommes d'accord pour jeter ! Un demi-mètre cube de papiers inutiles !
- Oui tu as raison, c'est juste que ton foutoir n'est pas le mien et que mon ordre n'est pas le tien non plus.
Alvar avait fait un tas de cartes postales, de lettres, de livres, de documents techniques séparés en deux tas à leur tour : documents provenant de l'agence de Jean-Michel et ceux provenant des autres professions. Il y avait aussi un tas de papiers indéterminés allant du guide bleu du sud-ouest annoté des lieux visités par le grand-père, au dépliant touristique de Royan de 1961, en passant par les coupures de presse sur les constructions dessinées par le grand-père et son agence.
- C'est Jocelyne qui s'occupait de ce découpage, pour ma part j'ai toujours trouvé ça ridicule.
- Non, tu te trompes elle a bien fait, regarde c'est intéressant tout de même de suivre ainsi l'histoire de ton agence et la manière dont on en parlait...
- ... ou pas, Alvar ! Ou pas ! On nomme déjà difficilement les architectes alors les agences d'ingénierie...
Dans la main d'Alvar, un document l'arrêta net dans sa recherche. Une carte postale signée de Jean-Michel qui évoquait son voyage au Maroc avec Mohamed, le père d'Alvar, adopté par le couple.
- "Oh, la vache... enfin... tiens... et merde..."
Alvar avait tourné la tête, submergé soudain par une émotion forte qu'il voulait, depuis sa vingtaine d'année, garder digne.
- Mais qu'est-ce qui se passe mon garçon ? demanda le grand-père un peu interloqué.
Alvar tendit la carte à son grand-père.
- Ah, je comprends... Et alors ? C'est l'une des choses dont nous sommes avec ta grand-mère et Yasmina, le plus fiers. Ton père, il faut dire qu'il nous en a donné des émotions à son tour !"
- C'est juste que ça remonte. Hoqueta Alvar.
- Il faut que ça remonte mon grand ! Il faut ! Tu sais ce qu'on va faire ? Tu vas lui envoyer cette carte à lui, tu vas faire ça. Et comme ça tu pourras avoir un point d'accroche pour entamer avec lui la conversation là-dessus.
- Je ne suis pas certain d'avoir envie de lui en parler.
- Ce n'est pas une envie, c'est une histoire, ton histoire, tu dois l'apprendre de toutes les bouches.
- Oui, tu crois.
- Et tu devrais aller au Maroc avec lui, Sidonie et Yasmina. Vous devriez tous aller au Maroc. Tu dois y aller.
- Papa il a des souvenirs du Maroc ? Il était petit quand ils sont partis avec Mamie Yasmina.
- Oui, tout petit, 4 ou 5 ans, demande à Jocelyne. Mais Momo est venu avec moi à ses 15 ans pour les papiers. Il doit aussi se souvenir de ça. Il avait une de ces trouilles qu'on le laisse là-bas. Il a toujours eu peur qu'on l'abandonne, toujours. Et si il a fait le même métier que moi, c'est aussi sans doute pour maintenir un contact permanent. Tu sais, ton père, il fanfaronne mais c'est un fragile. Tiens, comme toi."
- Bah, j'suis pas fragile !
- Oh dis, non et comment ! Pudique, je veux dire, pudique.
Un silence.
Un sourire simultané sur les deux visages. Alvar plongea sa main de nouveau dans le tas de papiers et reprit le tri.
- Tiens, regarde Papy, une carte d'Alger, de Diaressou, Diaresaa...
- Diar-Es-Saada, sans doute ! Précisa Jean-Michel.
- Oui ! C'est ça et dis-donc, elle est signée de Pouillon.
- Oui et alors ? Fernand c'était un sacré bonhomme et j'aimais bien travailler avec lui mais il était droit comme sa tour et aussi bien certain de ce qu'il voulait !
- Et il envoyait des cartes postales ?
- Non, en fait, c'était pour nous montrer à nous à l'agence à Paris, que c'est lui qui avait raison sur l'ordonnancement de sa façade. Et tu sais... Il avait raison !
- "Mon dessin, votre fonction. Fernand Pouillon". C'est ce qui est écrit. C'est concis !
- ... et juste, si juste ! Tout est juste chez le grand Pouillon.




Alger, Diar-Es-Saada, la Tour, place des Palmiers et les cascades.
Editions JOMONE, Alger. Pas de date.
Et, malheureusement pas signée de Pouillon...




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