mercredi 4 mars 2015

La gifle et l'arbre



...La gifle avait retenti sourdement dans le hall de l'hôtel Beau Rivage.
Jean-Michel dans un flux d'images mêlant ce qui se passait à l'instant à ce qui venait d'avoir lieu quelques secondes plus tôt, ne tenait plus sur ses jambes. Il se voyait se retourner sur sa chaise, poser sa main sur le dossier, y appuyer tout le poids de son corps pour se lever, se diriger vers Momo en quelques pas dont il ne se souvenait plus et gifler l'adolescent. Le monde se mit à tourner autour de ces deux corps debout face à face, se regardant sans un mot, tous deux baignés dans leurs sentiments comme dans une baignoire devenue tiède. Momo savait qu'il avait eu tort et Jean-Michel savait que cette première gifle sonnerait toute sa vie entre lui et son fils. Gilles se leva à son tour et prit son frère par le col pour le sortir de l'hôtel laissant son père dans le hall.
 - Mais putain t'es trop con où quoi, qu'est-ce que tu foutais ? Putain, mais t'es con trop con...
Momo ne répondait pas. Il blanchit.
 - T'as foutu la trouille à tout le monde, Maman et Jocelyne sont toute retournées. Putain, mais qu'est-ce qui t'a pris ? T'étais où d'abord, t'étais où ?
 - Je.. je... la plage... et puis... la bagnole... la fille... tu vois, sais pas.
 - Deux jours que t'es parti. On t'a vu hier à St-Palais, c'est le fils Berjaud qui t'as vu, t'avais pas l'air inquiet qu'il a dit.
Jean-Michel regardait debout depuis l'intérieur de l'hôtel son fils Gilles faire la leçon à son frère Momo. Il le regardait agiter ses bras, tordre le polo de son frère sur sa poitrine, le pousser du bout des doigts et pointer de sa main ce père resté à l'intérieur.
 - Oui j'ai déconné mais j'ai pas vu le temps passer, je suis trop con, oui, je sais, c'est comme la fois où je suis rentré tout seul, tu sais, je sais pas, parfois je perds tout, tout, je ne sais plus, je suis trop...
 - Mais t'es con ou quoi ? Tu pouvais téléphoner, venir à pied merde. Je sais pas moi. Tu te serais fait engueuler mais là, putain t'as vu papa, t'as vu son état ? L'obliger à te gifler toi. Il doit être mort de honte et de peur. T'es trop con, trop trop con.
Prenant son frère par le bras, Gille emmena Momo de l'autre côté de la rue, sur la plage de Foncillon.
 - Viens, faut pas rester là, il faut laisser Papa un peu, maintenant que tu es là, c'est mieux.
Jean-Michel regardait par la vitre de la porte les deux garçons partir. Il regardait Gilles gérer le conflit, il regardait cette maîtrise des sentiments. Lui, ne savait que faire. Il entendit derrière lui une voix.
 - Vous avez bien fait Jean-Michel, ne vous inquiétez pas, c'est pas votre faute.
C'était Yasmina la mère de Momo.
 - Non, Yasmina, j'ai eu tort. Ça ne sert à rien. Je suis un imbécile.
 - Il est là, il est de retour c'est le plus important. Nous avons eu tous si peur, Jean-Michel.
 - C'est ça Yasmina, vous avez raison, c'est la peur, ma peur qui a parlé. Ma peur a pris le dessus, c'est ma colère....................................


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 - Vous verrez vous reviendrez avec votre fils quand tout sera fini.
 - Oh mais j'espère bien Madame Berjaud, j'espère bien mais pour l'instant il est trop petit et j'avoue que Royan, je commence un peu à en avoir fait le tour.
 - C'est vrai que ça fait un bail que vous êtes là. Combien ? Trois, quatre ans ?
 - Disons que ça fait six ans que je viens régulièrement. D'abord pour le Front de mer et puis pour Notre-Dame.
 - Oui, je me rappelle quand vous dormiez dans le chantier ! Vous étiez vraiment fou. Heureusement que j'ai entendu parler de cette affaire.
 - C'est vrai que vous m'avez sorti de là. Et je n'oublie pas Madame Berjaud, je n'oublie pas...
 - Jocelyne... C'est vrai que c'est un peu à cause d'elle que nous nous sommes rencontrés. La vie, tout de même, que de surprises...
 - Oui, je revois Jocelyne assise dans le hall de l'hôtel de Paris attendant son père. Elle était un rien cachée par son Marie-Claire. Vous savez, chaque fois qu'elle lit son magazine, encore aujourd'hui, je pense à ce moment. Et c'est Jocelyne qui me parla de Royan en premier et de son amie vivant là-bas.
 - Je comprends, nous étions toutes deux de bonnes amies... Elle vous avait emmené chez son oncle pour acheter des nouvelles chaussures. Elle était vendeuse pour l'été. Que de bons souvenirs.
 - Oui, et un petit secret Madame Berjaud... je ne peux toujours pas acheter de chaussures sans qu'elle me donne son avis !
 - Ah ! Cela ne m'étonne pas Monsieur Lestrade !
 - Mais vous, pourquoi avoir changé d'hôtel ? Pourquoi êtes-vous venue travailler de l'hôtel de Paris à l'hôtel Beau Rivage ?
 - Disons que j'aime le changement et que... mon mari est le propriétaire ! En fait, vous êtes le seul ici à encore m'appeler par mon nom de jeune fille, je m'appelle Chatagneau maintenant... Eh oui !
 - La belle affaire ! Eh bien, on dirait que Royan c'est la ville de l'amour.
 - Oui ! C'est drôle ! Promettez-moi de m'amener votre fils un jour.
 - Promis je viendrai avec le petit Gilles. Alors, au revoir Madame... Chatagneau, au revoir.
 - Pierrette, appelez-moi Pierrette et le bonjour à Jocelyne !
 - Je n'y manque pas. Alors au revoir Pierrette.
Jean-Michel traversa la rue, trouva sa Traction-Avant couverte de poussières dues aux travaux de la rue. Il enfourna sans doute pour la dernière fois ses plans et ses cahiers de calculs sur Royan dans le coffre. Il regarda la plage, la rue, le ciel. Il fut étonné pendant quelques secondes de la taille et de la forme de l'arbre esseulé sur le trottoir. On aurait dit qu'il aurait été planté à l'envers. Il regarda les panneaux de Jean Prouvé sur la façade du Palais des Congrès. Il reviendrait à l'hôtel Beau Rivage c'est sûr. D'abord parce qu'il en avait fait la promesse et puis aussi parce que c'est à Royan qu'il avait fabriqué sa vie. Sur le siège passager, un hochet en plastique tout neuf faisait sonner ses clochettes à chaque virage. Il n'avait qu'une hâte, retrouver Gilles et Jocelyne à la maison.

par ordre d'apparition :
-Royan, Hôtel Beau Rivage, édition eliophot.
-Royan, le Palais des Congrès, Berjaud éditeur. On remarquera la similitude de point de vue avec cette autre carte postale vue ici.






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