dimanche 26 avril 2015

Les comiques et les autres



Jean-Michel avait dû céder à Pierrette Berjaud. Il avait accepté de venir avec elle au spectacle de Fernand Raynand dans le tout neuf Casino de Ferret pour lequel il avait travaillé sur les fondations.
Jean-Michel n'aimait pas Fernand Raynaud. Il n'aimait pas les comiques en général sauf Charlie Chaplin et ce Tati dont la Villa des Arpel lui rappelait tant de clients vus chez des architectes. Il avait une tendresse particulière pour le désir pressant de modernité. Mais dans la salle de spectacle du Casino de Royan, alors qu'à quelques mètres de lui, le comique troupier tentait de faire sourire la population accueillante et balnéaire, Jean-Michel était déjà ailleurs, dans des pensées de structures, dans des calculs refaits et refaits sans cesse.



Il pensait au barrage de Donzère-Mondragon dont il aurait aimé faire les calculs et le dessin des cheminements. Il trouvait que les images qu'il en avait vues prouvaient que la France avait d'excellents ingénieurs, qu'il fallait faire beau et utile en même temps et que ces chantiers gigantesques avaient une grandeur bien belle. Il aimait comme les paysages sont ainsi redessinés, modelés pour produire de l'énergie. Il aimait sentir cette force.



Puis, il ne sut comment, s'en aperçut-il seulement, il se rappela la carte postale qu'il avait achetée hier, celle du futur pont de l'île d'Oléron et comment il avait trouvé cette fois son dessin particulièrement laid et peu sensible à la chance de son paysage. Pourtant il savait que l'entreprise Campon-Bernard ferait un travail sérieux et même révolutionnaire mais il y avait tout de même là, dans la ligne ininterrompue des travées un ennui qu'il n'arrivait pas à admettre. Une sorte de peigne géant qui ne savait pas non plus trouver le chemin des rives avec beauté et distinction, quelque chose de juste à sa fonction mais sans élan, sans poésie.
Il avait surtout ri à la représentation de cette maquette par une carte postale, maquette comme collée sur une toile de jute bleuie pour faire maritime. Il y avait là une naïveté touchante. Il se rappelait surtout du Chapus, magnifique petite construction comme une île construite. Il se rappelait qu'il y avait acheté des huîtres, qu'il avait aimé le contact chaleureux des ostréiculteurs qui étaient partagés entre désir de modernité et peur d'un rythme de vie changé à jamais. La marée serait toujours là mais viendrait s'y joindre celle des touristes.
Fernand Raynaud essayait encore un peu de faire rire la salle et il faut dire qu'il y arrivait. Jean-Michel regardait ses pieds, ses nouvelles chaussures, il pensait à la jolie Jocelyne.
Est-ce que le marchand de fleurs sera ouvert ?
Et regardant alors le plafond multicolore du Casino, il comprit qu'il pourrait en attendant de rire, se réjouir d'un lieu superbe, joyeux et festif.
Il vit à sa gauche, un drôle de type avec un chapeau mou qui essayait désespérément de décoller un chewing-gum collé sous sa chaussure dans une indifférence totale au spectacle. L'intrus gluant passa du soulier sur les doigts du malheureux, puis retomba sur le sol et fut à nouveau glissé sous la chaussure.
Jean-Michel éclata d'un rire prodigieux. Tout le public se retourna vers lui, ne comprenant par pourquoi Jean-Michel riait hors des blagues du comique.
Ne pouvant plus se retenir, il quitta la salle et se retrouva étrangement accompagné par le type au chewing-gum qui croyait que la salle se moquait de lui.
Sous le dais de béton, les deux hommes riant de concert décidèrent de vivre une vraie vie.
Ils allèrent ensemble boire une bière sous le Front de mer.
Le chewing-gum, lui, resta cette fois dans le gravier.

Merci à Laurent Patart pour cette donation.
Par ordre d'apparition :
Royan, Le Casino, Architecte C. Ferret, édition Chatagneau.
Aménagement du Rhône, Donzère-Mondragon, éditions aériennes CIM, Cliché Rancurel, 1953.
Maquette du pont reliant Oléron au continent.
Caractéristiques : Longueur 3030 mètres, Largeur 10 mètres 50. Tirant d'air 15 à 18 mètres suivant marée. Utilisation envisagée : station estivale 1966. Exposée à l'église de  La Cotinière.
édition oléronaise Arjac-photo- L. grandsart.




 



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