mercredi 28 décembre 2016

Je suis ton père

6 novembre 2016
 - En fait, tu m'as assez peu raconté ta virée allemande. L'as-tu racontée à tes fils ?
Alvar, Jean-Jean et Mitica étaient assis sur le canapé du salon, Émilie, dans son fauteuil fétiche des années cinquante et j'avais choisi le pouf marocain qui, s'il était assez inconfortable, me permettait de bien voir tout le monde et d'observer toutes les réactions de la famille.
Alors que je finissais de poser cette question, je jetais ainsi un œil sur les visages de mes amis, réunis pour une fois, tous ensemble et pouvant cette fois évoquer la vie d'Alvar plutôt que celle de son grand-père. Je savais aussi que cette question aurait du être posée par Jean-Jean mais ce dernier avait décidé avec moi d'une manière tacite que je poserais à son père les questions que lui-même n'osait pas toujours poser à Alvar, toujours un peu secret sur sa jeunesse et sur sa vie en générale. Émilie essayait souvent de combler ce vide mais la conversation finissait souvent par un tu demanderas la suite à ton père qui n'était jamais suivi des faits.
 - Tu crois vraiment que c'est intéressant , David... On est là pour le Grand-père pas pour évoquer ma petite jeunesse et...
Alvar n'eut pas le temps de finir que Jean-Jean reprit à la volée :
 - Tu vois, Tu vois comment il fait ! en s'adressant à sa mère. Tu vois, il coupe la discussion tout de suite !
 - Non, non, je pense juste que ce n'est pas très intéressant et que...
 - Pardon, Alvar mais je me permets d'insister car je crois bien que cela pourrait éclairer un peu tes choix de vie et la rupture familiale avec l'architecture, enfin pour ma part...
 - David... Oui... Bon... Donc que veut savoir cette petite réunion familiale ? demanda Alvar avec un ton un peu sec mais amusé.
 - Ba... Tout de même... Tu peux nous raconter ta virée à Berlin avec Moulin. Tu te targues toujours de cette amitié sans rien nous dire de ce que tu as fait ni comment, finalement, tu l'as connu.
 - Ouais, c'est vrai ça ! nous, on doit te dire tout ce qu'on fait et qui on voit et tout et toi, tu nous dis rien, reprit Mitica un peu accusateur.
 - Eh ! Bonhomme, la différence c'est que je suis ton père et ....
 - Oh purée, tu vas nous faire ce coup là ! Papa ! Non mais vraiment on n'a plus l'âge !
Mitica ne put finir sa phrase que les deux fils se marrèrent tous les deux aux dépens de leur père. Émilie, trop heureuse de voir ainsi Alvar prit au piège laissait la conversation filer.
 - Mais c'est un procès stalinien cette conversation ! affirma Alvar avec humour. Vous voulez que je commence comment ?
 - En quelle année tu es allé à Berlin ? demanda simplement Mitica.
 - En 90 ou 91, je crois 91. Oui. C'est Nicolas qui m'avait donné l'adresse.
 - Et ce Nicolas, tu l'as connu comment ? reprit Jean-Jean.
 - Une fête aux beaux-Arts de Cergy, un ami commun, il avait apporté des disques. Moi, j'étais en archi mais je fréquentais plus de beaux-artiens que d'archi. Je ne me souviens plus du nom de ce type...
 - Romuald, il s'appelait Romuald Vernet, affirma soudain Émilie.
 - Oui, c'est ça c'était Romuald. Bon, donc, je rencontre ce Moulin, il me dit qu'il part à Berlin, que tout se passe là-bas avec la chute du mur et que notre génération doit aller voir. Je lui dis que surtout on doit entendre, que la musique se fait en Allemagne et il acquiesce. Bref, on devient potes mais comme il part, on n'a pas le temps de beaucoup parler. Il me propose un mois après de venir le rejoindre. Voilà.
 - Voilà ? Voilà ? Tu crois qu'on va se contenter de ça ? Voilà ! ajouta de suite Mitica en allumant une cigarette qu'il avait mis dix minutes à rouler.
 - On faisait la tournée des clubs et des disquaires. On faisait aussi avec Nicolas et une de ses amies, Valérie, beaucoup de marches architecturales, de promenades en attendant les soirées. On se levait tard, on mangeait dehors, on chinait des trucs, on rentrait, je dormais par terre. C'est là que j'ai trouvé Molotov, le berger allemand que j'ai ramené en France à la grande colère de votre grand-père !
 - Et tu as perdu une bonne vingtaine de kilos... précisa Émilie.
 - Oui ! Votre Mamie Sidonie ne m'a pas reconnu à la gare lorsque je suis revenu. J'avais la barbe et, oui, vingt kilos de moins et ce chien !
 - C'est comme ça que je t'ai connu ! Faut dire que t'étais bien beau, tout pouilleux de retour d'Allemagne.
Cette phrase fit rire tout le monde et Émilie joignit le geste à la parole et alla chercher une photo de l'époque. On voyait Alvar derrière une platine double, un énorme casque audio sur les oreilles, en train d'écouter de la musique. On reconnaissait bien ses traits, et ses deux fils furent tout heureux soudain de comprendre que ce type qui avait à peu près leur âge avait pu ainsi vivre sa vie.
 - Et comment tu es passé de l'archi au son ? Demandais-je.
 - Ba, en fait, en quelque sorte...D'abord il y a eu Mathew qui m'a influencé et puis surtout, j'ai oublié de passer les exams puisque je suis resté à Berlin. C'est pour ça que c'est ma mère qui est venue me chercher et pas mon père...
 - Tu t'es fait engueuler ? demanda Jean-Jean.
 - La vache oui... C'est peu dire... Imagine, je suis parti pour quinze jours, je suis rentré après six mois avec un chien sans presque donner de nouvelles pendant les deux derniers mois... Il était donc pas question de refaire de l'archi.
 - Tu as fait quoi alors ? demandais-je.
 - Ba, mon père connaissait l'un des ingénieurs ayant travaillé sur l'acoustique de l'auditorium de la Maison de la Radio et ce type me mit en contact avec celui qui réglait la salle, tu vois, la balance des micros etc... Alors je suis entré en stage. Comme ça, d'abord pour rien, même pas officiellement. Je me suis rendu indispensable et deux mois après j'avais mon premier contrat. Entre deux, j'animais des soirées avec mes disques d'Allemagne, j'étais Dj !
 - Dj ! Comment tu te la pètes Papa ! s'exclama Jean-Jean.
 - Oui ! Mais c'est grâce à ça que tu es au monde mon chéri, reprit Émilie, car c'est là que j'ai vu ton père pour la première fois. Tu était beau, tellement beau mon Alvar !
Nous éclatâmes tous de rire devant la gêne soudaine d'Alvar qui, en même temps, était assez fier de cette conclusion.
 - Je croyais que vous vous étiez connu lors d'un enregistrement pour un documentaire ?
 - Oui ! Tu as raison David. Enfin, surtout, tu vois, Alvar il ne se souvenait pas de moi à cette soirée. Pourtant... Enfin ! Nos amis communs firent que nous nous sommes retrouvés sur ce projet. C'était trop marrant de voir ce grand gaillard aussi timide...Votre père c'était vraiment pas un dragueur !
Les deux garçons n'en pouvaient plus de rire.
 - Oh mais, marrez-vous marrez-vous les gars ! Faut dire que vous êtes vraiment des exemples ! Pour ce que je peux savoir, votre vie de dragueurs à vous deux est bien discrète aussi ! essaya de se défendre Alvar face à ses deux fils.
 - Papa... Tu confonds discrétion et réalisation ! T'inquiète pas... Tout va bien... affirma Mitica avec arrogance.




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C'est Émilie qui m'ouvrit la porte. Devant un thé, nous commençâmes à parler de Mitica, de Jean-Jean, de l'exposition sur Lestrade et des vacances passées en Grèce. Émilie est une femme discrète, pourtant forte, sachant ce qu'elle veut, réussissant souvent à l'obtenir. Très protectrice, elle regarde ses fils grandir, les consolide phrase après phrase, ne laisse rien passer, porte une exigence qui marque son visage souvent d'une ride horizontale sur son front. Nous évoquions l'accident de Mitica et d'Alvar, les progrès de Mitica pour remarcher, le fait que certainement, il aurait toujours maintenant besoin d'une canne, comment il avait voulu la choisir, comment il passait des heures sur des sites de collectionneurs pour trouver un modèle de canne qui lui ressemble. Il disait que, quitte à avoir besoin d'un appui, il fallait que cet appui soit le plus beau et le plus proche de lui possible. Denis lui avait alors fabriqué une canne avec un bambou renforcé et une tête de mort qu'il avait sculptée en trois jours dans un morceau de Tilleul en s'inspirant de celle vue sur un autoportrait de Mapplethorpe. Émilie me raconta la séance familiale où Denis régla avec Mitica la hauteur parfaite de cette canne. Comment avec une extrême attention, il ponçait la pointe et demandait si le crâne de bois ne faisait pas mal dans la paume de Mitica. La main jeune de Mitica sur cette tête de mort frappait beaucoup Émilie. C'est elle qui donna l'idée à son fils de devenir œnologue car, depuis maintenant ses seize ans, le garçon aimait boire du vin. Surtout le Bourgogne, comme son arrière-grand-père dont il avait hérité la cave. Mitica partait ainsi parfois pendant des semaines faire le tour des caves. Il avait aimé faire les vendanges mais maintenant son handicap ne lui permettrait plus d'y participer directement. Pourtant, il avait déjà programmé pour l'année prochaine d'y retourner au moins par habitude en étant accueilli par des vignerons devenus des amis.
- Mais peut-être que tout cela te saoule ? me demanda Émilie.
- Non, non ! Pas du tout. Tu sais c'est bien aussi que nous partagions cela. Et puis je sais aussi combien ce fut difficile pour vous tous et aussi pour Alvar.
- Oui... Maintenant, tout est en ordre, j'ai compris aussi certaines choses, il m'a fallu les laisser vivre. Tu vois, regarde ! La maison est vide ! Jean-Jean est avec son Denis, quel drôle de type celui-là ! Pas de nouvelles depuis huit jours et... Mitica est sur les bords de la Loire pour une conférence sur la culture biodynamique des vins... Non mais... Parfois, j'ai du mal à y croire ! Bon, allez, descends, Alvar est en bas. Alvar ! Alvar ! David est là.
Émilie appela Alvar depuis le haut de l'escalier. J'entendis ce dernier lui répondre de me dire de descendre. Je trouvais donc Alvar dans l'agence.
- Salut ! Tu es là depuis longtemps ?
- Non, enfin, une demi-heure, j'ai discuté avec Émilie. Bon alors, tu voulais que je vienne pour quoi ?
- Tiens, regarde...
Alvar me passa un paquet en carton dont le format me fit comprendre immédiatement le contenu, un disque vinyle. J'ouvris et je vis alors le dernier album Brume Mother Blast édité par Nicolas Moulin pour Grautag Records. L'album montrait sur ces choix d'images toute l'atmosphère et l'ambiance de l'artiste, jalousie que Alvar et moi-même partagions.






- Tu sais, je lui ai demandé si nous pourrions avec ce travail faire une ambiance sonore pour l'exposition Lestrade. Il est d'accord et...
- Vrai ? La vache, ce serait super !
- Oui, mais il aimerait que l'on fasse aussi une soirée Grautag le jour du vernissage. Pour ma part, tu imagines bien que je suis plus que d'accord mais je voulais tout de même t'en parler car...
- Oui ! Oui ! Génial ! Bien entendu !  Faudra discuter du mode et aussi des moyens mais cela serait vraiment chouette ! Faisons ça ! Et le Grautag c'est tellement Lestrade !
- Tiens, regarde, il a même ajouté trois cartes postales pour toi.
- Ah ! Super, oui ! Je vais pouvoir les ajouter à sa donation. C'est quoi ?



Je regardais d'abord une incroyable carte postale bulgare montrant des hôtels gigantesques et blancs posés sur le sable. Le contraste entre les immeubles des chambres et les coupoles en coquilles minces donnaient à l'ensemble une classe incroyable. La répétition à l'identique des deux ensembles étaient aussi très étonnante et j'essayais de convaincre Alvar que l'on pouvait ainsi parler d'édition architecturale.




Nous regrettions alors tous les deux de ne pas trouver le nom de l'architecte de cette merveille sans aucun doute soviétique. Pourtant, une inscription en cyrillique me donnait l'impression que cela pourrait bien être ce nom qui nous manquait. Jean-Jean, deux jours plus tard m'affirma qu'il s'agissait en fait du nom du photographe.
Puis vint une carte postale d'une église moderne à Bad Füssing. Nous admirions immédiatement le magnifique campanile bien détaché de l'église elle-même et qui offrait au ciel parfait une pointe touchant le bord de la carte postale.



Au fond, l'église proposait une structure incroyable, posée sur des triangles blancs supportant une charpente mais laissant un fronton très ouvert. Là encore, l'éditeur Dennerlein-Liebl manquait à son devoir d'information et ne nous indiquait pas l'architecte. Enfin, posée sur la grande table, je regardais avec Alvar la dernière carte postale envoyée par Nicolas Moulin. De celle-ci, je reconnus immédiatement l'objet car j'avais déjà publié sur ce blog une carte postale du même type.



Il s'agit d'un restaurant et d'un motel autoroutier à Holdorf. L'éditeur nous donnait plein d'informations sur les capacités techniques et hôtelières de ce magnifique bâtiment. Alvar pointa du doigt la finesse des piliers rouges montant dans le ciel, pendant que, sur mon iPhone, je cherchais des informations pour trouver le nom des architectes. Je trouvais facilement un article me donnant Paul Wolters et Manfred Bock. 
Alvar me parla alors du temps de pose qui faisait filer les phares des autos et donnait la sensation de néons infinis. J'ajoutais la couleur verte un peu égale qui baignait le cliché, la nuit tombante comme choix du photographe permettant de lire l'intérieur de la construction. Tous deux, nous nous posions la question : est-ce que Nicolas a acheté ces trois cartes postales spécialement pour cet envoi ou les avait-il dans sa collection ? Alvar me rassura, il poserait à son ami la question par Messenger en même temps qu'il remercierait Nicolas pour l'envoi.
Nous remontions tous les deux dans la maison. On montra l'album à Émilie qui émit le souhait de l'entendre immédiatement. Alvar pesta parce qu'il avait prêté son tourne-disque à Jean-Jean et que celui-ci l'avait emmené chez Denis. Je rassurais tout le monde en disant que l'on pouvait peut-être écouter l'album Brume sur internet. Finalement, nous trouvions bien l'adresse mais l'album n'y est pas encore audible. Nous nous rabattions de concert sur les autres enregistrements.
Alors que nous entamions notre deuxième tasse de thé sur l'écoute de la Face A de Azurazia, le téléphone sonna. C'était Jean-Jean. J'entendis clairement Émilie qui l'engueulait pour ne pas avoir donné de nouvelle. Elle lui demanda :
 - Mais tu es où ?
Au même moment, on entendit la porte de la maison qui s'ouvrait. C'était Jean-Jean et Denis, hilares, heureux de leur blague qui faisaient leur entrée sur le solo de Pharoah Chromium....................
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Merci à Nicolas Moulin pour cet envoi plus que généreux.
Merci à la Famille Lestrade pour le thé et l'accueil et nos souvenirs.
Pour écouter et surtout commander les disques de Nicolas Moulin, il vous suffit de vous rendre sur cette page.
http://grautagrec.com/main.html
Musiques et pochettes font de ses albums de vraies incroyables éditions d'artiste.
Régalez-vous !

mardi 27 décembre 2016

Pour et avec Denis Herzog




Je me suis demandé comment faire.
Bien sûr, j'ai déjà évoqué la disparition de Denis sur les ondes de Radio On mais je voulais tout de même rendre ici un hommage plus appuyé à celui qui m'a fait la joie de partager son amitié et quelques bons moments dans la cave remplie des archives de Jean-Michel Lestrade.
En fait, je voudrais surtout m'adresser à Jean-Jean.
Hier, alors que je cherchais un livre pour écrire une autre chronique, je suis tombé sur un sac plastique noir un peu caché contenant bien un ouvrage mais pas celui que je cherchais.
Le livre dans ce sac était le grand livre des Gratte-ciel de David Bennett. Ce livre n'est pas à moi, il était, (il est toujours ?) à Denis. C'était le livre qui lui avait donné, enfant, le goût et le désir de l'architecture. Nous en avions parlé ici, lecteur, lectrice attentifs.
Denis me l'avait prêté il y a un mois maintenant car je voulais l'utiliser pour faire ici un article et raconter comment ce type d'ouvrage peut porter ainsi un tel désir. Denis m'avait dit d'y faire attention, qu'il y tenait, que je devais surtout "faire gaffe à bien replier les dépliants intérieurs." Nous avions rigolé tous les deux de notre maniaquerie pour les livres et leur état alors que nous étions tous les deux de joyeux bordelistes pour le reste...
Jean-Jean, tu te souviens que c'est toi qui as lancé ce débat ?
J'avais donc fait attention et surtout, je l'avoue, j'avais oublié le livre dans le coin de ma pièce, derrière d'autres sacs remplis, attendant eux aussi de voir leur contenu sortir au soleil.
Le livre, le voici :




On y trouve un étonnant et court avant-propos de Sir Norman Foster qui voudrait que les tours deviennent des villages verticaux, un nouvel espace communautaire... Cela laisse perplexe et surtout rêveur de la part de l'un des plus pragmatiques chantres de la verticalité consumériste. Norman Foster y ajoute que 55 000 personnes pourraient y vivre en autosuffisance... Les Monades Urbaines sont donc désirées par l'un des plus grands architectes vivants. On ose le lire.
Ensuite, l'auteur nous plonge dans une journée complète dans la Sears Tower. On y apprend que la tour craque sous l'effet de la chaleur, qu'il y a 16 000 fenêtres, qu'une œuvre de Calder décore l'entrée, que le personnel d'entretien prend le monte-charge et non l'ascenseur pour ne pas croiser le reste du personnel (idée du communautarisme selon Norman Foster sans doute...). Le reste du texte est à l'avenant, expliquant par des chiffres et des exemples les modes de vie de la Tour et sa respiration journalière. C'est passionnant en fait. On y apprend aussi que la Sears est bien l'œuvre de Skidmore, Owings et Merrill et cela nous ramène à Denis qui avait fait son devoir sur cette agence. Sans doute pas un hasard...
Puis vient un chapitre sur l'histoire des Gratte-ciel avec là aussi un beau dépliant et des dessins superbes des structures. C'est, en fait l'histoire de la démesure possible. On y regrette le peu d'exemples de Gratte-ciel européens avec, toutefois, le Centro Pirelli de Gio Ponti. On aimera le superbe horizon gouaché alignant comme à la parade tous les plus hauts immeubles du Monde ! Cela a dû faire rêver Denis.
Page 75, la Trump Tower prend soudain, aujourd'hui, une importance légitime. Ses architectes Swanke, Hayden, Connell and Partners doivent aussi la regarder autrement. Philip Johnson a droit à une double page et à sa polémique sur L'AT and T Building. Ce qui est tout de même bien pour un livre de vulgarisation.
Puis un long article est entièrement consacré à la Hong Kong Bank par Sir Norman Foster et l'éditeur et l'auteur déploient toutes les techniques pour nous faire vivre les problèmes de conceptions et les défis techniques et conceptuels de l'ouvrage. Une belle leçon avec là encore un grand dépliant donnant l'illusion de voir l'immeuble comme un écorché. C'est spectaculaire et surtout diablement instructif et beau.
L'ouvrage s'achève ainsi sur une démonstration de force et une sentence de l'architecte inscrite dans un ciel au soleil couchant.
J'imagine facilement Denis, enfant, couché sur la moquette de sa chambre, ouvrant les pages, lisant tantôt en diagonale, tantôt avec application les chapitres. Je l'imagine dépliant les grandes images, entrant par l'imagination dans celles-ci, se rêvant là grutier, ici, architecte ou encore simple visiteur. L'enfance facilite les jeux de rôles que l'âge adulte demande parfois violemment de restreindre. J'imagine aussi que le dessin, les capacités à faire voir au-delà du vrai document, les capacités de synthèse et d'analyse auront séduit le jeune garçon. Ce livre est bien fait, bien documenté, sérieux. Je ne sais pas si c'est un livre d'architecture ou de génie civil, quelque chose entre les deux permettant à un enfant d'appuyer sa fascination sur du réel. C'est le plus important.
Denis, je ne pourrai pas te rendre ton livre. Je le donne ainsi à voir. Ce que je donne aussi à voir c'est notre complicité à aimer et ne pas bouder ce qui nous avait libéré et ouvert un champ, sans dédain pour la vulgarisation, celle efficace d'un livre bien fait. Tu gardais jalousement aussi ce livre car offert par ton frère. Un témoin de ce passage donc. Je ne le garderai pas dans ma bibliothèque. Il ira dans celle de Jean-Jean, si tu le permets. Il ira, comme pour une brique, former un mur de livres, de ceux qui nous ouvrent, nous émancipent, et nous rappellent ceux qui nous les ont offerts. Cette brique ne sera pas une pierre d'attente, elle sera, j'en suis certain pour Jean-Jean, une clef-de-voûte.
Salut l'ami, salut Denis, c'est un peu dur, tu sais.