mardi 29 mars 2016

Le Corbusier, aventurier de l'Arche Perdue

Oui, continuons ce matin avec une carte postale sur une œuvre de Le Corbusier mais, comme cela nous arrive rarement, nous allons cette fois, nous occuper autant du recto que du verso de cette carte postale, tout simplement parce que voici que ce verso nous donne un avis très particulier sur l'architecture du couvent de la Tourette à Eveux.
Regardons le recto et le verso :




D'abord nous serons frappés par la très belle photographie de A. Caillon qui nous place au coin du couvent des Dominicains, comme écrasés par la bâtisse. On connaît bien maintenant ce photographe. Ce morceau dit bien la rigueur de la construction et comment Le Corbusier voulait, (avait réussi), à jouer avec la déclivité du terrain en faisant descendre les pilotis vers le sol pour rattraper le jeu des pentes. A. Caillon nous propose là une vision très abstraite du couvent, difficile en effet, depuis ce point de vue de comprendre l'objet si on n'a pas eu la chance de le visiter ou de le connaître. Une masse brutale (là, c'est justifié), fermée, défensive même, ressemblant plus à une architecture de génie civil qu'à un lieu de culte, s'élève en angle et bloque toute fuite du regard, toute ouverture. Le contraste photographique un peu trop poussé fait aussi blanchir le béton, empêchant d'en lire la matière, lui donnant un aspect lisse bien trompeur. Le soleil, parfois par la photographie, ne donne pas une idée juste des formes et des matières !
On a donc à n'en pas douter, une image photographique peu séduisante, peu amène à donner sans doute une sensation, disons, joyeuse de ce couvent, imposant avec force son caractère euh... affirmé.
Mais à l'image, à la photographie de Monsieur Caillon, voici que s'ajoute la correspondance de Dom Mourier. Dom ? Dominicain. Il s'agit là de la correspondance d'un frère dominicain depuis son couvent. Du moins c'est ce que je suppose. Partons de ce postulat.






Mais que dit-il ? Comment juge-t-il son lieu de prière, de vie spirituelle ? Pas très gentiment semble-t-il !
Pas de confort !
On s'étonnera de cette demande de la part d'un homme ayant choisi le seul confort attendu pour sa vie, un contact plus serein avec Dieu. Depuis quand les Dominicains ont-ils besoin de confort ? Et surtout dans quel objet et espace le placent-ils ? Car, certes, le couvent d'Eveux est rugueux à la vie mais pas plus et surtout pas moins que d'autres. Peut-on attendre d'un couvent qu'il soit... douillet ?
S'agit-il d'un confort de prière dont parle Dom Mourier, notre dominicain ?
Viennent ensuite les termes incroyables de matérialisme intellectuel primitif !
Oui, il a sans doute raison ! Et même c'est bien là une position dont on pourrait qualifier Le Corbusier, mais ce matérialisme serait bien évidemment celui d'une justesse d'analyse, d'une forme franche des besoins non pas pour simplement y répondre et ne répondre qu'à ces besoins mais bien pour dégager la spiritualité des besoins, la laisser libre face au pragmatisme de la vie, offrir un espace et un écran libérés des contingences matérielles. On pourrait reprocher cette opposition entre matérialisme et spiritualité, comme si le monde et son saisissement étaient forcément une faiblesse. C'est sans doute ce que révèle religiosité bestiale sans idéalisme spirituel ! Ce qui m'étonne le plus c'est bien que Dom Mourier semble manquer d'idéalisme spirituel ! Comme cela est curieux. En quoi la Foi peut-elle être confondue avec un idéalisme même spirituel ? L'idéalisme n'est-il pas trop passionné ? Débordant ? Vigoureux ? Disons hors contrôle ? N'y a-t-il pas, dans le travail spirituel d'un Dominicain, le souhait justement d'une canalisation de cet idéalisme pour en calmer le feu au service d'une intériorité et d'un partage ouvert de sa Foi ? On pourrait même presque reprocher à Le Corbusier le contraire. Je pense que Corbu avait bien trop d'idéalisme spirituel ! Il l'exprimait en le construisant sur la Nature, sur ses principes permanents, accordant à ses signes une place parfois bien trop grande, du moins essentielle. Que dire de la religiosité bestiale ? Oui ! Bien vu ! Dom Mourier, tout tient là ! Vous avez raison. On pourrait sans doute parler plus sereinement de religion naturaliste mais je crois que la bestialité exprime bien chez Corbu ce besoin puissant, cette quasi Vérité du monde, d'une nature plus grande, plus juste, plus violente que l'homme. Il faut donc lui offrir un abri qui tienne ce monde sans en perdre la force vigoureuse (voire virile). Ce que l'on pourrait appeler ici, chez Corbu, une mécanique à spiritualité.
Mais que penser du premier terme de cette correspondance : pseudo-Heiligtum ?
Et pourquoi le Tabernacle primitif juif est-il traduit en allemand ? Quelle comparaison étrange...
Car le Tabernacle est certes très très simple dans ses espaces, il est surtout incroyablement symbolique, clair et juste à son programme et à ses plans simplement établis par le plus grand des architectes... Dieu !
Pourquoi ce Dominicain va-t-il ainsi chercher cette image du Tabernacle ? Voit-il dans Le Corbusier un homme n'ayant saisi dans l'architecture religieuse uniquement son organisation programmatique en oubliant ceux qui y vivent ? N'aurait-il fait que faire semblant (pseudo) de comprendre les enjeux de la vie religieuse en passant par dessus les risques d'une vie humaine devant s'y déployer ? Pourtant cette rigueur face à la liturgie et à l'ordre de la suivre devrait plaire et même convaincre ceux qui les vivent du désir de Le Corbusier d'être au plus juste d'une réalité, d'une spiritualité et des espaces intermédiaires qui les relient.
Sachez enfin, que le Tabernacle (Heiligtum) contenait l'Arche d'Alliance, celle-là même que le Doctor Jones retrouva.
Il faut aussi mesurer ces propos d'un usager de l'architecture de Le Corbusier avec les incertitudes qui demeurent. Depuis combien de temps Dom Mourier vit-il au couvent de la Tourette lorsqu'il écrit cette carte ? Quelles expériences d'autres couvents dominicains a-t-il connues et sur quoi se fonde son expérience de la vie de moine ? On peut imaginer que Dom Mourier, quelques semaines après cette carte postale écrite d'un rouge furieux, en aura écrit d'autres, plus compréhensibles, plus sensibles à l'œuvre de l'architecte. À moins que, comme Claude Parent me l'avait affirmé, Le Corbusier avait vraiment fait là l'œuvre du Diable et que, comprenant les enjeux diaboliques (protestants ?) de le Corbusier, Dom Mourier ait préféré en partir...
Notons que la carte postale fut expédiée en 1959, qu'elle nomme bien Le Corbusier et que, malgré sa critique négative, Dom Mourier n'hésite pas à demander à son correspondant de ne pas oublier le denier du culte ! Soyez membre du tronc.
Il s'agit donc là, dans ma collection, d'une très rare carte postale d'un usager de l'œuvre de Le Corbusier donnant un avis négatif certes, mais un avis tout de même sur son lieu de vie. Il faudrait certainement aussi voir dans son choix d'image, un choix partisan, donnant à voir par l'intermédiaire de la photographie de Monsieur Caillon l'un des points de vue certainement les moins euh... sexy de ce couvent dominicain. Manière habile mais un rien dirigée d'affirmer la dureté de cette architecture, ce que, nous amateurs de cette œuvre appelons une justesse ou plus certainement encore, une rigueur joyeuse.
Rappelez-vous ces incroyables images:
http://archipostcard.blogspot.fr/2011/08/le-moine-est-un-modulor.html
http://archipostcard.blogspot.fr/2012/04/un-moine-lequerre.html

 

lundi 28 mars 2016

Quels yeux sur Corbu ?

On va reprendre un peu l'inventaire possible et sans doute infini des cartes postales de l'œuvre de Le Corbusier. Rien de vraiment rare cette fois pour ce qui est des objets architecturaux du maître mais des points de vue sans doute un peu moins usités.
D'abord, une immense surprise :




Bien entendu cette vue sous la neige de Notre-Dame-du-Haut est très pittoresque. On sent bien que l'événement météorologique sur l'architecture fait ici l'objet du cliché. La neige, c'est toujours photogénique, surtout quand sa blancheur répond à celle de l'architecture de Le Corbusier. Ici, d'ailleurs, c'est bien moins l'architecture de la Chapelle qui est visée que le campanile de métal qui est l'œuvre de Jean Prouvé. Nous avons déjà évoqué son pragmatisme pour ne pas dire autre chose. Fièrement planté sous les arbres, il laisse à l'écart la Chapelle derrière les branches. Les traces de pas vont de l'un à l'autre et sans doute que certaines de ces traces sont celles d'un personnage étonnant : l'Abbé René Bolle-Redat qui fut pour Ronchamp un infatigable défenseur et raconteur d'histoires, il écrira même un ouvrage sur sa relation avec le lieu que je vous conseille de lire. Mais, me direz-vous, comment puis-je vous affirmer que c'est bien l'Abbé Bolle-Redat qui sur ce cliché a laissé ses traces dans la neige ? C'est simple ! C'est lui qui a fait ce cliché ! Il est en effet crédité par l'éditeur de cette carte postale comme le photographe ! On a donc affaire à un abbé photographe si amoureux de son lieu et surtout si présent sur place que rien ne lui échappe et surtout pas le désir de fabriquer de belles images de Ronchamp sous la neige. On sait aussi l'amitié qui liait l'Abbé avec Charles Bueb, on peut s'amuser à croire que le second ait pu donner des leçons de photographie au premier...
Car on remarque, au-delà d'une vue particulièrement rare qui joue avec la presque invisibilité de l'architecture face aux éléments, on remarque donc aussi un choix du cadre bien senti permettant à la fois de montrer un objet souvent ignoré, le campanile, tout en n'oubliant pas de cadrer ce qui permet son identification, la Chapelle. Mais l'objet du cliché reste la neige et son impermanence, l'événement, la soudaineté. Vous le voyez l'Abbé, se levant le matin, voyant la neige tomber en abondance, préparer son appareil et courir dans le paysage avec l'idée de faire pour les touristes et les pèlerins des photographies pour les cartes postales ?
Je le vois.
Ailleurs :




Vous me direz, encore une vue de la Cité Radieuse. Oui. Et alors ?
Mais ce qui ici me séduit c'est la manière dont le photographe de cette carte postale aérienne Combier, Monsieur Rancurel, fait jouer l'architecture de Le Corbusier avec le site. Posée au premier plan, la Cité Radieuse surgit soudain, fière, au milieu du cadre. Elle occupe le premier tiers du bas de la photographie. Derrière se pose un quartier fait de petites maisons et constructions qui semblent posées au hasard de la ville comme des petits cailloux jetés. Déjà, ici s'opposent deux propositions de la ville, deux voix possibles de la rue. Mais alors que tout pourrait être ainsi tenu, voici que surgissent les roches et les sommets du massif de Marseillevayre. La Cité Radieuse semble vouloir se mesurer avec cette nature sèche et aride, minérale et mettre son toit-terrasse en jeu comme le pont d'un navire observe les vagues déferlantes de la mer. La Cité Radieuse est un peu "cuite" par une surexposition qui brûle les détails. Pourtant on la devine surgissant depuis peu car à ses pieds on reconnaît la fin du chantier. On notera que Combier fait ici un travail éditorial un rien chic, avec bords blancs et dentelés et surtout gaufrage de l'image comme une matrice en gravure. Combier nomme bien Le Corbusier mais la carte n'est malheureusement pas datée.
Pour une date :




Ici l'éditeur Combier nous fait la joie de dater la carte postale : 1964. Attention ! Nous ne sommes plus à Marseille mais à Briey-en-Forêt. Le Corbusier est bien nommé mais ici, étrangement, pas le photographe. Il y a donc un usage de la nomination des photographes chez Combier un rien libre alors que l'éditeur aime à signaler qu'il s'agit bien là d'une "Photographie Véritable " avec majuscules s'il vous plaît !
Mais regardons.
Assez bas sur le sol, peut-être même un peu en dessous de la hauteur d'homme debout, le photographe choisit de cadrer l'architecture de cette Cité Radieuse entre deux arbres. Logique, il faut que nous soyons en forêt en quelque sorte ! Le photographe aime mieux ne pas être directement en frontalité et choisit de faire fuir l'immeuble nous permettant ainsi de mesurer la finesse de l'immeuble en rapport à sa longueur. Par contre, l'effet de percée des pilotis permettant de libérer le regard sous la Cité Radieuse est ici complètement invisible et même offre au regard le sentiment d'un socle un rien sombre en contraste avec la blancheur d'écran récepteur de cette façade. À gauche, on devine un tube métallique, il doit s'agir d'une construction provisoire, pour le chantier peut-être. La Cité Radieuse de Briey est pourtant habitée si on en croit l'occupation des balcons. Un rien serrée, un rien enfermée dans son cadre de verdure, le noir et blanc de la photographie joue avec dureté avec la rigueur de l'architecture donnant parfaitement ce sentiment de force et de surgissement de cette forme sous le soleil.
Comme nous essayons de le démontrer, il est parfois difficile de cerner ce qui fait image d'architecture. Trois exemples dont on peut questionner le sens. Est-ce d'abord l'architecture qui raconte son histoire ou la photographie qui la fonde ? N'oublions pas que la carte postale est, à la différence des photographes d'architecture ayant travaillé pour Corbu, libre, totalement libre de ses devoirs d'images même si elle est prise dans son histoire de la représentation.
Elle n'en est pas pour autant corrompue ni moins libre, ni moins réelle ou juste car elle est aussi un travail photographique, une œuvre.

 





dimanche 27 mars 2016

Dubuisson sur la crête

Ici, nous aimons sans ambages l'œuvre radicale et intelligente de Jean Dubuisson.
Nous allons nous promener ensemble dans l'une de ses œuvres sans doute moins connue mais certainement bien représentative de son travail.
D'abord une ligne de crête, une ligne dansante :




Nous sommes à Mondragon par une carte postale Combier. La vue aérienne permet bien de voir le beau serpent qui se courbe sur son terrain permettant à tous les appartement de vivre pleinement la vue sur le paysage. N'a-t-on pas la sensation que ce mur pourrait comme dans les rêves de Claude Parent se poursuivre à l'infini, depuis ses bords, et courir dans la campagne ? On devine peu de choses de l'architecture finalement depuis ce point de vue, on comprend seulement l'attention au paysage, sa mise en place, le désir de suivre le terrain. On remarque tout de même que le rez-de-chaussée, (devrais-je dire rez-de-jardin ?) est un socle sans appartement permettant dès la première ligne d'appartements de vivre le panorama. On remarque une façade continue, filante, qui n'offre aucune variation majeure, façade rejetée à l'arrière, au fond du creux, qui permet d'offrir aussi un espace généreux pour des balcons. Je le dis souvent mais nous devrions, pour mieux saisir la chance qu'offre cette construction de Jean Dubuisson, non pas la photographier elle, mais photographier depuis elle. Il faudrait que les éditeurs de cartes postales, pour bien rendre l'opportunité du paysage, aient l'idée de faire leurs images depuis l'un des balcons. Un habitant pourrait nous combler, s'il vous plaît ?
Approchons-nous :




Toujours chez Combier, cette carte postale semble plus ancienne. Elle est pour nous beaucoup plus précise aussi car l'éditeur nous donne non seulement le nom de Jean Dubuisson comme architecte pour la Cité des Genêts et même précise que l'architecte est de Courbevoie (sic!) mais l'éditeur nous donne aussi le nom de l'architecte de la Cité Fonjoyeuse juste derrière, l'architecte Mesnil Lorenzo et date la carte postale de 1969.
Regardez comme nous sommes bas ! L'avion fait vraiment du rase-mottes ! On trouve sur le très beau et complet site de la Cité de l'Architecture une fiche détaillée de cette Cité des Genêts :
http://archiwebture.citechaillot.fr/fonds/FRAPN02_DUBJE/inventaire/objet-11528
Malheureusement aucun plan des logements ne vient éclairer l'architecture de cette superbe barre.
J'y reconnais pourtant, dans l'allure générale, dans ce désir de tenir le paysage, de faire une forme continue dans l'espace, une familiarité avec le très bel immeuble SHAPE Village de St Germain-en-Laye réalisé en préfabrication avec Félix Dumail.
Je profite de cet article pour dire notre crainte et partager avec vous un communiqué de presse certes un peu ancien mais relatif à l'avenir de nos belles architectures modernistes. On sait comment ce type de constructions, dont celle de Jean Dubuisson fait partie, est souvent vite jugé et mal aimé et donc peu considéré comme un Patrimoine.  Ce type d'architecture est simplement massacré dans ses vertus, ses formes, ses idées par des reprises extérieures, des abandons de détails (couleurs, matériologie des façades, ferronneries d'époque, huisseries...) voire des abandons de structures (suppression des coursives, pilotis remplis, boîtes et sas pour les entrées "digicodisées"etc.)
Il est donc temps de maintenant d'arrêter ce massacre de notre héritage.
Il faut le dire très vivement : il faut un état d'exception pour l'héritage moderniste, état d'exception qui doit permettre de maintenir hors des normes actuelles et européennes les formes et donc les pensées de cette architecture. Que serait cette barre de Jean Dubuisson si son épaississement généralisé par l'extérieur, le changement de ses ouvertures, le saucissonnage de sa longueur, venaient en ruiner non seulement son dessin mais aussi son sens architectural ? On connaît en France certains spécialistes ayant eu la main lourde sur cet héritage en appliquant un remodelage pour rester poli, poli...tiquement correct.
Architectes, étudiants en architecture et en Art, responsables du Patrimoine à toutes les échelles, personnels politiques, élus de tout bord, critiques d'architecture, citoyens sensibles, habitants heureux, mais surtout faiseurs de lois et autres porte-voix de l'Europe, merci d'agir, d'agir vite et d'être responsables, tous responsables et avec vous de cet héritage. Il est temps de créer en France une véritable formation architecturale sur la manière d'entretenir, de soutenir et de restaurer cet héritage car seule l'éducation et l'obligation de passer par des spécialistes ayant une raison consciente des enjeux patrimoniaux peuvent permettre de maintenir dans le réel du présent les spatialités superbes du passé.
On aimera que la Google Car nous montre bien finalement les deux aspects de ce bel immeuble filant de Jean Dubuisson.









COMMUNIQUE DE PRESSE
LOI SUR LA TRANSITION ENERGETIQUE : LE PATRIMOINE EN DANGER

Si elle est adoptée en l'état, la loi sur la Transition énergétique va porter un coup fatal au
patrimoine de notre pays, richesse reconnue dans le monde entier et source majeure de revenus,
d’emplois et de balance commerciale excédentaire à travers le tourisme.
La loi prévoit en effet que l'on ne puisse "s'opposer à la mise en oeuvre d'une isolation en saillie
des façades et par surélévation des toitures des constructions existantes" (article 3).
Si l'amélioration de la performance énergétique des bâtiments existants est souhaitable et possible
pour une large part du parc immobilier, notamment de la période de la reconstruction avant le
premier choc pétrolier, le projet de loi sur la Transition énergétique représente une grave menace
pour la qualité de notre cadre de vie et le patrimoine français.
L'emballage d'un bâtiment ancien revient à gommer la spécificité de son architecture et
transformer profondément la perception de l'histoire, des diversités urbaines qui se sont exprimées
au travers de différents styles caractérisant chacun leur époque.
Personne, ni même le Maire, ne pourra plus s’opposer à l’emballage des bâtiments dans des sites
remarquables que sont les sites inscrits et classés, les zones de protection du patrimoine
architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), les Aires de Mise en Valeur de l'Architecture et du
patrimoine (AVAP), les abords de Monuments Historiques, les immeubles labellisés patrimoine du
XXe siècle, les sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l'Unesco (Val de Loire, baie du
Mont-Saint-Michel, sites des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, etc).
Les plus beaux villages et sites de France seront ainsi défigurés et sacrifiés au bénéfice d'une
filière technique inadaptée au bâti ancien qui fera disparaître de nos paysages tout le charme et le
raffinement de nos architectures de pierre, de brique, les pans de bois et la grande diversité de
formes et de matériaux qui font la richesse de notre pays.
Devant la gravité des conséquences que fait porter la loi sur la Transition énergétique sur le
patrimoine français, nous demandons instamment :
- que soient réintroduites dans la loi, les dérogations actuellement prévues par le code de
l'urbanisme dans son article L 111.6.2, afin de permettre de sauvegarder l'attractivité de
notre pays et la qualité du cadre de vie de nos concitoyens.
- que soit pris en compte le patrimoine du XXe siècle dont la qualité a été reconnue par une
labellisation du ministère de la Culture.

- que les bâtiments fassent l'objet d'une évaluation systématique par des professionnels
compétents, avant tout choix de technique d'amélioration des performances techniques.
L'emballage des bâtiments existants peut entrainer, au-delà de la perte de valeur
patrimoniale, d'importants désordres et pathologies.

- que les projets d'isolation par l'extérieur des bâtiments existants soient systématiquement
soumis à l'avis conforme des services compétents en matière d'architecture du ministère de
la Culture, pour garantir le maintien du cadre de vie et de l'intérêt général.
 

Les Présidents de :
L'association des Architectes
du Patrimoine (AAP)
Rémi DESALBRES
L'association nationale des Architectes
des bâtiments de France (ANABF)
Saadia TAMELIKECHT
La Demeure Historique (DH)
Jean de LAMBERTYE
Docomomo France
Agnès CAILLIAU
Maisons Paysannes de France (MPF)
Georges DUMENIL
Patrimoine-Environnement (LUR-FNASSEM)
Alain de LA BRETESCHE
Remparts
Henry de LEPINAY
Sauvegarde de l’Art Français
Olivier de ROHAN CHABOT
Société pour la Protection des Paysages
et de l’Esthétique de la France (SPPEF)
Alexandre GADY
Vieilles Maisons Françaises (VMF)
Philippe TOUSSAINT
Le Comité de Vigilance Brutaliste
et vous ?



samedi 26 mars 2016

Agadir dans la main

 

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 - Il ne t'a jamais raconté ? En même temps cela ne m'étonne pas. J'avais connu l'histoire par son ami Amir Baraq mais jamais par lui directement. Ce qui est curieux c'est que, pourtant, c'est une histoire qui finit assez bien.
 - Que veux-tu dire ? Demanda Alvar à son oncle Gilles.
 - Bon... C'est un peu long... Par où commencer... Tu connais l'histoire de Drancy ? Comment ton grand-père avait réussi à faire sortir du camp son ami Amir ? Tu sais qu'il habite maintenant au Brésil et que ton grand-père et lui sont très liés.
 - Oui, il est venu je crois un Noël vers 1984 ou 85, c'est ça ?
 - Oui. Eh bien, ce que tu dois savoir c'est que Amir n'était pas seul dans le camp de Drancy, il était accompagné d'un petit cousin âgé d'environ 4 ans et de sa mère, sœur du père de Amir. Pendant que ton père tentait de faire échapper son ami Amir, il lui avait promis, sans doute un peu vite, qu'il pourrait aussi faire sortir l'enfant et sa mère. Or, tu auras compris, le jour de la sortie de Amir du camp sur présentation de faux papiers, ils ne purent faire sortir l'enfant et sa mère. Le lendemain de l'évasion de Amir, ton grand-père Jean-Michel refit une tentative. Tu sais, c'était vachement risqué et culotté mais il était jeune et avait réussi une fois, alors ton grand-père croyait que cela serait facile. Lorsqu'il arriva au camp, il eut même une lueur d'espoir car, sur la présentation des papiers, on le pria d'attendre pour aller chercher l'enfant qui s'appelait Simon et sa mère Hannah. Le gendarme revint vers ton grand-père, très soucieux, car, malheureusement ils avaient été emmenés le soir précédent... Le pire c'est que le gendarme croyait tellement à l'identité donnée par les faux papiers qu'il crut bon de mener une enquête, de remuer sa hiérarchie et demanda donc à ton grand-père d'attendre l'arrivée du responsable du camp. Tu comprends... La suite...
 - Non... Ah... Tu veux dire que Papy n'est pas resté...
 - Non ! Bien entendu ! Il a fui à toutes jambes car si les faux papiers avaient pu berner le planton, tu imagines bien que cela n'aurait pas tenu avec un autre plus aguerri. Il était menacé à son tour. Il fit donc la seule chose raisonnable à faire... Fuir et abandonner.
 - ............
 - Oui....... mais l'histoire ne s'arrête pas là. À la Libération, ton grand-père continua à y croire, persuadé qu'il reverrait vivants la mère et le petit Simon. Personne, bien entendu, ne revint par cette voie. Pourtant...
Pourtant... début 46, un jeune garçon et une femme se présentèrent d'eux même à la maison. Il s'agissait bien de Simon mais pas de sa mère. Celle-ci fut bien malheureusement gazée dans les camps. Simon, lui, eut une chance inouïe. Sa mère le confia dans le camp de Drancy, le jour de sa déportation, à un couple qui fit passer l'enfant pour leur fils. C'est la femme de ce couple qui éleva en cachette Simon pendant la guerre. Elle perdit son mari elle aussi dans les camps mais put, grâce au petit garçon et à la pitié d'un jeune gendarme sortir en affirmant, documents à l'appui, qu'ils étaient baptisés tous les deux, le petit s'appelait maintenant... Gilles !
 - Comme toi !
 - Oui, lorsque je suis né en 46, ils voulurent me donner ce même prénom.
 - Mais comment put-elle sortir, elle, alors que son mari fut déporté ?
 - Ça j'en sais rien. Mais ton grand-père, pendant toute l'occupation resta sans nouvelle, culpabilisant, refaisant l'histoire, se demandant s'il avait bien fait de partir, s'il n'avait pas manqué de courage. Alors, il semble que lorsqu'il partit au Maroc pour ses chantiers, lorsqu'il vit Yasmina et Momo dans un état d'abandon et de pauvreté totale, il ne voulut pas recommencer l'histoire d'une culpabilité. Il se fit la promesse de tenter de les aider tous les deux. Grand-père tomba littéralement amoureux de ton père Momo, achetant des vêtements, les emmenant manger. Momo ressemblait beaucoup à ton grand-père. Un de ses collègues de l'époque me rapporta que sur le chantier, les ouvriers croyaient même qu'il s'agissait bien de son fils ! Pour Grand-Père, rentrer en France à nouveau, en laissant encore un enfant derrière lui fut un déchirement. Il était déjà marié avec ta grand-mère et, dès son arrivée, il lui raconta sa rencontre avec Momo et Yasmina. C'est, tiens-toi bien, ta grand-mère qui ordonna à ton grand-père de repartir illico pour aller les chercher tous les deux au Maroc !
  - ........... je............ enfin.......
  - Oui ! ils sont comme ça ces deux-là ! Il retourna donc au Maroc, organisa tout, prit des contacts avec l'appui de quelques architectes, ceux qui avaient le bras long, ses anciens contacts de la Résistance firent le reste. Il fallut tout de même attendre encore un mois puis, enfin, un matin à Marseille, ton père et ta grand-mère Yasmina arrivèrent. Ton grand-père mais surtout ta grand-mère Jocelyne ne voulurent pas séparer Momo de sa mère. C'est ce qui est le plus étonnant dans l'histoire. Mais mon frère n'ayant pas été reconnu, il fut assez simple de l'adopter. Yasmina, tu lui demanderas, mais je crois qu'elle avait alors tout à gagner à venir en France. L'histoire lui donna raison. Tu es cette preuve.
 - Qu'est devenu le petit Simon ou Gilles ?
 - Simon ? Il est bien grand maintenant, il est plus vieux que moi ! Il a repris son prénom et son nom, Simon Berstein. Il a fait carrière dans l'industrie pharmaceutique, je crois, un truc comme ça. Enfin, tout va bien. Il envoie toujours une lettre à ton grand-père pour le Nouvel An et il est déjà venu ici.

Un silence. Puis Alvar soudain, reprit la parole :

 - En fait, je suis là, fils d'un petit musulman marocain adopté parce qu'un catholique a cru qu'il n'avait pas réussi à sauver la vie d'un petit juif ? C'est dingue !
 - Oui... Enfin, il faut modérer le catholicisme de ton Grand-Père. Disons... chrétien, ça lui ressemble plus.
 - Mais... On parlait de tout ça pourquoi au juste ?
 - Alvar... Dans ta main... la carte postale du service des Douanes d'Agadir ! le Maroc !
 - Oh la vache ! J'avais oublié ! Gilles, Tu connais le nom de l'architecte de cette merveille ?
 - Non, je ne sais pas. On dirait une soucoupe volante.
 - Oui, c'est tout à fait dans la lignée du travail de Grand-Père. On imagine qui a dû travailler sur le calcul de ce dôme. Agadir... Agadir... il a travaillé avec Zevaco là-bas non ?
 - Oui, oui et Duhon, surtout Duhon. Mais il n'y a rien d'écrit ? Pas d'autres documents dans la boîte d'archives ?
 - Non, rien. Rien. Mais il y a ça. Un porte-clef Orangina. Je ne sais pas ce que ça fait là.
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La carte postale est une édition la Cigogne en exclusivité par André Leconte, vente exclusive pour le Maroc par SOCHEPRESS à Casablanca. Ni date, ni photographe nommé, ni architecte nommé. Malheureusement...

mardi 22 mars 2016

Vrai de vrai




Yasmina tenait fermement la main de Mohamed.
Elle l'avait vêtu de sa blouse d'écolier que le petit garçon avait voulu serrer à la taille avec une ficelle pour imiter la tunique de Robin des bois qu'il avait vue dans le livre offert par Jean-Michel Lestrade la veille. De loin, cela lui donnait l'air d'une petite fille.
Il fallait avant de partir s'installer définitivement dans la famille Lestrade que Yasmina fasse quelques courses et surtout trouve un petit cadeau pour son arrivée. Depuis presque un an déjà, elle avait décidé de suivre Jean-Michel Lestrade en France et avait accepté sa proposition de reconnaître Mohamed comme son fils dès que cela serait possible. Au début, Yasmina n'avait pas bien compris pourquoi, pourquoi cet homme venu au Maroc avait soudain décidé ainsi de fabriquer une histoire avec elle et son fils. Elle avait vu d'abord, comme toujours, l'intérêt pour son fils, elle avait trouvé là une manière de le soutenir. Et puis, aussi, elle avait osé se l'avouer, elle avait vu aussi une opportunité pour elle, une chance mais aussi une aventure. Parfois, il lui arrivait même de penser que peut-être c'était par égoïsme qu'elle avait accepté la proposition mais il suffisait qu'elle se rappelle comment Mohamed sautait dans les bras de Jean-Michel dès qu'il le voyait, comment le petit garçon tenait serré dans ses bras le petit lapin en peluche, comment il en mâchouillait les oreilles pour rassurer Yasmina sur sa décision. D'ailleurs à l'instant même, Mohamed avait bien ce lapin dans ses bras.
Au groupe des Courtilles d'Asnières, Yasmina savait qu'elle trouverait à la supérette, un lot de jolis mouchoirs brodés de petites violettes qu'elle voulait offrir à celle qu'elle appelait encore Madame Lestrade.
Madame Lestrade, Yasmina l'avait rencontrée plusieurs fois et toujours elle avait été attentive, accueillante, heureuse de la revoir. Toujours, Madame Lestrade lui parlait à elle, lui demandait comment elle allait. On parlait de décoration, de couture, de nouveautés vues dans Marie-Claire. Madame Lestrade et Yasmina partageaient une admiration pour Gérard Philipe et plusieurs fois, elles allèrent même au cinéma ensemble pour voir l'acteur. On laissait Mohamed avec Gilles et Jean-Michel et qu'ainsi, les deux femmes puissent abandonner les enfants à l'homme de la maison, Yasmina trouvait cela très moderne et même un peu choquant. Au retour, Yasmina aimait bien comment Jocelyne lui prenait le bras, discutait de la beauté de l'acteur, librement et se moquait des petits travers de Jean-Michel. Jamais, jamais, Jocelyne ne lui parla directement de l'adoption possible de Mohamed. C'était toujours Jean-Michel qui le faisait et toujours en présence de Jocelyne et de Mohamed qui d'ailleurs s'il ne comprenait pas toujours, avait saisi la tendresse autour de lui.
 - Dis Maman, dis, Gilles, il y sera là à la nouvelle maison ?
 - Bien sûr, oui Momo, tu sais bien, t'as vu ta nouvelle chambre elle est juste à côté de celle de Gilles.
 - Et que pourquoi qu'on sera pas dans la même chambre ? Que moi, j'aime bien la chambre à Gilles.
 - La chambre DE Gilles, mon Loulou. Mais c'est mieux, vous aurez tous les deux votre lit, votre espace pour jouer et rien ne vous empêchera de jouer ensemble, tu comprends ?
Un silence fut coupé par le Klaxon d'une Traction-Avant. Yasmina n'eut pas le temps de comprendre d'où venait le son que déjà Momo criait dans la rue :
 - Papa Jean ! Papa Jean !
En effet, comme promis, Jean-Michel venait les chercher. On chargea la voiture de la petite valise et du petit garçon qui trouva sur la banquette arrière un numéro de Spirou.
Alors que Jean-Michel parlait à Yasmina de sa future installation, de l'impatience de Jocelyne, des nouveaux rideaux qu'elle avait installés dans la chambre, Yasmina regardait la ville d'Asnières et sa cité des Courtilles disparaître derrière les vitres de la voiture. Elle se sentait légère, sûre d'elle, heureuse avec tout de même une petite pointe, là, à gauche, sur la poitrine.
 - Papa Jean, quand c'est-y qu'on y revient à Nasnière ?
 - Asnières ? Oh mais, je ne sais pas Momo. Pourquoi tu veux y revenir ?
 - Ba, je sais pas, c'est pour toujours qu'on y part ?
 - Oui, je crois. Gilles t'attend à la maison, c'est lui qui t'a choisi le Spirou.
 - Vrai ?
 - Vrai de vrai Momo !

Carte postale des éditions Raymon, exclusivité Librairie-Papeterie Rahaut. Pas de date, pas de nom de photographe ni d'architecte.

 





lundi 21 mars 2016

Jouir d'un va-et-vient




Disons que parfois les images offrent des radicalités bien plus appuyées que le réel :
Cette carte postale de l'église St Jean-Bosco est en fait une carte postale de la maquette de la future église qui sera construite à Mons-en-Barœul.
Tout dans cette carte postale, tout, sa photographie en noir et blanc, l'objet même, le fond gris tendu, le cadrage optant pour un point de vue ignoré du piéton et donc du croyant, le reflet sur le socle brillant et bien entendu le dessin général de l'architecture de cette église, tout donc, concorde pour fabriquer une image étrange, à la beauté parfaite dont, sans doute, la fermeture complète de la forme éclatée ajoute encore au mystère de sa réalité.
Comment devant un tel objet architectural, comment construire mentalement ce que sera la visite du lieu, comment produire avec un objet d'une échelle réduite, la compréhension des enjeux spatiaux ?
Le faut-il ?
Devant certaines maquettes d'architecture, on reste coi, jubilant à la fois d'être mis au dehors d'une forme close et jouissant dans le même moment du possible de cette forme dans le réel. Je pense aux effets de sidération devant les blocs de bois pleins et solides des maquettes des réalisations de Claude Parent et Paul Virilio. La massivité des maquettes, véritables objets-sculptures n'offrant aux yeux que le dessin de la masse, s'obstinant à nous refuser le détail réaliste pouvant les confondre avec le modélisme ferroviaire, donne bien plus à vivre qu'à voir, même si, bien entendu, cette sidération est aussi une manière de saisir le surgissement (miraculeux ?) d'une architecture qui n'est jamais, jamais simplement une enveloppe.






Ici, l'abstraction de cette maquette d'architecture dont l'architecte n'est rien moins que Jean Willerval me permet avant même d'avoir parcouru l'édifice d'en saisir, sinon la réalité, un désir : une fragmentation faite de triangles emboîtés, des saignées entre les blocs, le jaillissement soudain d'une flèche, un jeu subtil d'une forme qui jouera des ombres, en quelque sorte un imaginaire formel comme on parle d'un paysage.
Mais il s'agit d'une image... Et, je vois venir la rhétorique habituelle de sa tromperie, je vois venir le doute qui devrait toujours nous saisir, doute porté par ceux qui ne savent pas être au monde et pensent (c'est un grand verbe) que l'image est inconséquente, voire même perfide et que son rôle est toujours de nous induire en erreur par nos sens, eux-même agents d'une puissance mystificatrice.
Pourtant, ici, il faut simplement admettre que tout est désiré, que tout dans cette image est construit, volontaire. Il s'agit d'évocation. Car, voyez-vous, (voyez-vous ?) il ne faut jamais oublier celui qui regarde, celui qui ajoute et aussi celui qui jouit de cette évidente construction de l'esprit. Je ne sais pas si je serai déçu de la réalité de cette église. Je ne sais pas si je n'en préférerai pas la maquette. Mais qu'importe ! Oui, qu'importe ! J'aurai alors la possibilité de me réjouir non pas d'une forme affadie dans le réel mais de deux objets de pensée, de deux formes sous la lumière, se répondant l'un l'autre non pas dans un concours de réalisme mais dans la jouissance du va-et-vient entre projet et construction. Oui.
Jouissance du va-et-vient.
Et cela, grâce à l'église.
On aura compris que cette carte postale est une édition de souscription sans éditeur mais avec un nom de photographe : A. Maillet. Remercions-le pour ce superbe travail qui m'a offert un moment parfait de rêve d'architecture.
Pour ne pas vous maintenir artificiellement dans une déception du réel due à l'image, je vous offre une autre image :




Cette fois, nous sommes à Dijon, et les fidèles lecteurs auront reconnu cette église Sainte Bernadette réalisée par l'architecte Belmont et Jean Prouvé. Sur cette édition dont la photographie est de Fasquel, on retrouve bien, on reconnaît bien la construction. Qui s'interrogera sur le premier plan régulier fait d'une terre fraîchement retournée offrant un socle à la construction ? Qui s'interrogera sur la présence de cette petite foule et de ce groupe d'hommes venus regarder l'église ? Qui sont ces hommes tous en noir regardant le campanile qui est d'ailleurs encore en construction ? Qui sont-ils ? Des architectes, des commanditaires, des ingénieurs venus voir l'avancement des travaux ? Monsieur Belmont et Monsieur Prouvé sont-ils là, dans ce groupe ? Est-ce parce que ce groupe est en visite que le photographe réalise ce moment photographique ? Est-ce l'occasion d'immortaliser en même temps le chantier presque achevé et la visite de ceux qui en sont à l'origine ?
On sent que quelque chose de sérieux se passe, que le moment est choisi... Suis-je en train de me faire prendre par l'image ? Mon désir de fiction prend-il le pas sur la réalité ?
Nous reste à admirer au moins d'un point de vue documentaire le bâti, le construit et surtout ici l'impermanence du chantier. Je me régale d'un détail, d'un punctum, d'un ça, pour faire chic.
Je vais et je viens, depuis l'image jusqu'à mon plus profond désir fictionnel. Tout glisse à merveille, tout est désir. Je vis de ce désir.

 






samedi 19 mars 2016

Bastin Belge Brutaliste



En français, un bastaing est une poutre solide utilisée en construction.
Il semble que chez nos amis belges il en soit presque de même.
Nous allons regarder, (et découvrir pour moi), l'œuvre superbe de Monsieur Roger Bastin, architecte belge qui a construit, entre autres, à Floreffe, un somptueux séminaire venant s'adosser à une construction plus ancienne. On verra qu'il fait preuve d'une audace folle, d'une radicalité sans fard dont le génie tient à sa parfaite articulation au terrain très difficile, à son sens des vues, à sa capacité à construire des espaces articulant les fonctions entre elles tout en donnant à voir l'essentiel : le construit.
Sur cette première carte postale (en haut de cette page) on peut déjà se réjouir de ces deux blocs de béton brut dont le banchage des planches est subtilement dessiné, alternant horizontales et verticales. On aimera aussi comment les masses grises donnent des pans aveuglés et des grandes baies en suspendant d'ailleurs les blocs fermés au-dessus des ouvertures laissant l'œil hésiter à la réalité de ce poids en suspension.





Le photographe de cette carte postale comprend bien l'espace architectural de Monsieur Bastin, car, en quelque sorte, il coupe son cadre en deux, offrant à la moitié gauche, la nature, les arbres, les hommes qui se mettent au soleil et à la moitié droite, le béton, les masses, la minéralité et le verre reprenant dans un reflet le jardin en écho. La carte postale est une édition Nells et Thill qui ne donne pas le nom de son photographe mais nomme bien Monsieur Bastin comme architecte.
Regardons une autre carte postale de cette œuvre majeure :




Toujours par Thill pour Iris, cette fois, et en couleur, voici la belle et infinie barre du séminaire de Floreffe, avec son bloc des aînés comme le nomme l'éditeur.
On pourrait devant une telle radicalité faire silence.
On devine pourtant ici très bien le remarquable travail de l'architecte, comment il a su placer son architecture sur ce terrain et en articuler les pentes et les terrasses, faisant littéralement enfoncer une moitié du bloc des aînés dans le terre-plein. La beauté vient aussi de la régularité, de la permanence de la façade donnant l'illusion d'une infinitude, comme si elle pouvait ainsi sans obstacle, fuir à l'envi dans le paysage belge.



Le jeu des petites ouvertures presque modestes, presque en retenue s'opposant à la saignée des pans de verre de l'assise ajoute aussi au poids puissant de l'ensemble. Là également, le traitement de surface du béton est visible, il est d'une très grande qualité et devient un motif. Les courbes du premier plan, celles du jardin, viennent un rien adoucir l'ensemble.
Et la nature ? Regardons :




Quelle image ! Quelle architecture !
De ce point de vue, impossible de penser que ce carré de béton fendu de verre se prolonge en une barre très longue. On voit une forme pure venant s'enfoncer par un coin dans la pente, presque comme une cognée dans une bûche.




Comment ne pas comprendre alors que ce contraste saisissant est la beauté même mettant en relation le chaos d'une végétation un rien chétive donnant la sensation qu'elle est apeurée avec une géométrie solide de lignes, de diagonales, d'aplats et de creux. On notera que le photographe réussit depuis ce point de vue à mettre en contraste la nouvelle architecture et l'ancienne.
Et le paysage ? Regardons :




Un premier plan végétal ombré puis un jardin de vert tendu, puis un trou au centre donnant sur le paysage au loin. L'architecture de Monsieur Bastin à droite discute avec celle de l'ancien séminaire. Que se racontent-ils ? Chacun se jalouse, chacun aime la différence de l'autre, chacun reste à sa place accordant au contraste la valeur suprême de leur existence. On n'est jamais content de ce que l'on est, on trouve toujours chez l'autre, les qualités qui nous manquent. Comme il doit être joyeux et serein de pouvoir, en traversant ce gazon bien entretenu, jouir ainsi de deux mondes.
On espère vivement en apprendre plus sur Monsieur Roger Bastin. On espère rapidement retrouver ses architectures sur des cartes postales ou dans le réel. On espère aussi que l'architecture moderne et contemporaine belge vit des heures meilleures que celle de France.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Bastin

http://www.couvin-histoire.be/ViewArticle.php?ref=014A00015



mercredi 16 mars 2016

Des liens pour la Conservation des Monuments Historiques de Seine Maritime

Et voilà !
Notre département de Seine Maritime, notre Région Normandie, la Ville de Dieppe se voient nommés parmi les 7 sites les plus menacés d'Europe par Europa Nostra, rien moins que ça !
Triste, bien triste manière de mettre la lumière sur notre département de Seine Maritime et sur le Patrimoine exceptionnel que représente le Pont Colbert et sa cabine de Jean Prouvé !
Rappelez-vous ici !

http://archipostalecarte.blogspot.fr/2015/11/jean-prouve-sur-le-pont.html 

On notera que le combat citoyen a permis de mettre en lumière ce scandale régional qui s'ajoute à celui de la destruction de Sainte-Bernadette au Grand-Quevilly, à la défiguration du Volcan de Niemeyer au Havre (ville pourtant inscrite au Patrimoine de l'UNESCO ), la destruction probable de la dernière église en fusées céramiques à Serqueux (le clocher est déjà par terre), et à un avenir incertain pour  l'église St-Nicaise à Rouen et, et, et... à l'abandon des Ateliers du Parc, chef-d'œuvre de Patrice Mottini dans la cour même de l'école d'architecture de Rouen... Allez on arrête là...
En espérant que la prochaine fois que notre département et notre Région seront nommés de manière internationale, ce sera pour souligner la parfaite restauration d'une construction du Vingtième Siècle. On peut rêver...

Mesdames, Messieurs les maires, député(e)s, conseillers et conseillères régionaux, conservateurs du Patrimoine, conservatrices du Patrimoine, Architectes des Bâtiments de France, vrais citoyens, vraies citoyennes, voici des liens que vous lirez peut-être :
http://www.europanostra.org/news/737/

http://www.europanostra.org/UPLOADS/FILS/20160316-PR-7ME-FR.pdf

Vive la Seine Maritime !





Le Corbusier, une remise à niveau

 

Sur cette carte postale bien modeste, tranquille, affichant clairement tous les atouts de la ville de Kembs, apparaît une chose un peu plus importante pour nous.
Il est difficile de trouver des cartes postales qui représentent cette chose, alors il faut chercher dans les cartes à vues multiples pour tomber dessus. La carte postale est une édition La Cigogne expédiée en 1975 qui nous raconte l'écluse, l'église St-Jean-Baptiste, la Rue Principale. On notera que l'éditeur met des majuscules à Rue Principale...
Alors ?
Qu'est-ce qui nous intéresse ?
Les Aficionados de Corbu auront deviné de suite, il s'agit bien des écluses qui sont bel et bien une œuvre de Le Corbusier. Ici, on n'en voit que la tour alors qu'il faudrait y ajouter le bâtiment administratif malheureusement pas représenté.
On peut devant une telle carte postale et l'inexistence d'autres plus précises et mettant en avant l'œuvre de l'architecte se poser la question, justement, de ce manque de représentation de l'une des œuvres les plus originales de le Corbusier par son programme et sa commande. Pourtant, nous avons déjà vu ici que le Génie Civil ne manque pas d'être représenté par les cartes postales qu'il soit d'ailleurs anonyme ou signé. Pourquoi donc, à Kembs, les éditeurs ne voient pas ici une opportunité d'originalité et de diffusion d'une vraie particularité patrimoniale qu'ils ne s'autorisent finalement à signaler que dans un mélange mettant au même niveau une église et une rue principale....
Alors soyons prudents. Rien ne dit que dans deux jours, deux ans, je ne tombe sur une série représentant ce lieu, contredisant de fait, ce manque, ce vide.
On notera tout de même que la photographie de l'écluse ne montre pas de volonté particulière de représenter l'architecture de la tour mais bien plus de dire l'existence des écluses ici pleines de péniches attendant leur passage dans une indifférence à l'architecture de le Corbusier bien normale.
On se souvient tout de même que Le Corbusier aime bien les péniches !
L'absence de nomination de Le Corbusier au dos de la carte postale pourrait même indiquer, de la part de l'éditeur, au mieux une indifférence, au pire une méconnaissance de l'auteur de cette œuvre architecturale qui n'est rien moins que l'un des plus importants architectes du XXème siècle.
Voyez-vous, cela me touche. Je veux dire que, après tout, Le Corbusier n'a pas fait une sculpture, il a fait un objet utile, fonctionnel, répondant au mieux aux exigences techniques et réussissant à y mettre de la beauté mais sans doute pas ostentatoire et ne demandant pas que soudain, on soit devant une machine à photographier.
Mais comment un éditeur et un photographe de cartes postales peuvent passer à côté d'une œuvre aussi singulière dont la beauté plastique du bâtiment administratif laisse pantois ?
C'est bien de moi qu'il s'agit devant cet étonnement d'absence d'images. Il est bien question de mon attente et non d'une réalité de présence d'une architecture. Je suis en chasse d'images alors qu'il est question ici de nécessité et d'outil de circulation. Faire architecture c'est répondre au programme, pas au désir d'image.
On notera également l'absence totale de cette œuvre de Kembs dans l'ensemble de mes ouvrages sur Le Corbusier... Même Dominique Amouroux, dans son guide, fait défaut...
Alors, dans sa modestie, dans sa réalité graphique, dans sa fonction populaire, cette carte postale en dit bien plus long sur le rapport à l'œuvre de Le Corbusier que des cartes postales par trop destinées à nos désirs d'images. Elle est une carte postale. Au milieu, avec, parmi des cartes postales, tout comme, dans son quotidien d'usage, l'écluse est sur le chemin, permettant simplement de retrouver le niveau de navigation. C'est parfait ça pour Corbu, retrouver le niveau de navigation.

Pour en savoir plus sur l'écluse de Kembs :
http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sysId=13&IrisObjectId=4656&sysLanguage=fr-fr&itemPos=1&itemSort=fr-fr_sort_string1%20&itemCount=1&sysParentName=Home&sysParentId=64

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cluse_de_Kembs-Niffer





mardi 15 mars 2016

le Capitaine Candilis sans Capitainerie




Je reçois, je diffuse :

" L'héritage moderniste se voit donc une fois de plus (et une fois de plus pour Candilis) totalement méprisé. Alors qu'une ville balnéaire existe, prend son identité dans le travail d'un architecte et de son équipe, (architecte génial reconnu par l'histoire), les seuls qui ne comprennent pas la chance qu'ils ont, sont ceux-la même qui gèrent cette héritage : les politiciens locaux. 

Il faut le dire, à leur défense, ils manquent sans doute d'une éducation de l'histoire de l'architecture et de l'œil, mais aussi d'un sens aigu de l'histoire locale, mettant à bas tout ce qui constitue la réalité historique du lieu où ils vivent. Lors de nos visites de Port Leucate, nous n'avions vu que mépris pour cette modernité qui malheureusement n'est pas détruite pour laisser place à une nouvelle mais pour fabriquer une image ressemblant à un décor digne de Walt Disney, mélange somptueux de néo-provençal revu par Las Vegas, de ferronnerie Brico Rama Brico Dépôt (un must du génie local) et un concept de l'espace inventé par le lobby tout puissant des vérandalistes aluminium qui doivent avoir, avec la mairie qui donnent les autorisations, ce même goût pour l'architecture de carton-pâte. 

C'est trop tard maintenant. 
C'est par terre.
 L'histoire de l'architecture se rappellera les noms des responsables.

On notera que, comme à l'habitude, les arguments sont comme toujours les mêmes : état de la construction, risques, non-conformité. On s'amuse de ces arguments qui sont, en fait, le symptôme de quoi ? Simplement d'un manque d'entretien et d'un désir larvé de voir ce béton disparaitre. On laisse pourrir pendant des années sans rien toucher, on fait venir les pompiers, on évoque la sécurité, on fait la démagogie habituelle sur les besoins d'aujourd'hui qui ne correspondent plus à la construction d'hier et Hop ! On met par terre avec, bien entendu, aucune honte et même une certaine joie . Nous avons honte pour eux. Bref, une histoire bien connue aujourd'hui en France. Nous conseillons donc aux élus locaux de la Culture de la Ville de Port Leucate (il y en a ?) de voyager en Suisse, en Allemagne et surtout en Hollande où les constructions modernes font l'objet d'une attention, de recherches, de soins incroyables appuyés, c'est vrai, par des architectes, des responsables patrimoniaux, des règlements et une éducation  qui font que la population, la démocratie, l'histoire donnent à lire dans le réel des rues, les héritages successifs avec originalité, idées, et même fierté. Oui, Monsieur le Maire, fierté de l'histoire et de la modernité.

L'éradication de la Capitainerie de Port Leucate est une faute patrimoniale grave. 
Grave. 
Très grave.

Nous avions cru un instant avec le classement des Carrats que cette ville et cette région auraient pu s'engager comme Royan ou Le Havre dans un vrai travail de reconnaissance de cette héritage de la Mission Racine. Il n'en est rien. Il s'agit sans doute d'un mélange audacieux de manque de courage politique et d'ignorance avec une pointe amère croquante-fondante de démagogie locale.
Bon vent Port Leucate ! 
Tu deviendras un magnifique décor pour rêve de cagoles où l'on fait semblant, où tout fait semblant."
Le Comité de Vigilance Brutaliste

Voilà qui est dit avec...euh...mesure.
Pour se rappeler un peu l'importance patrimoniale de cette Capitainerie :
elle faisait partie des tous premiers bâtiments construits par l'équipe de Monsieur Candilis pour tester le système constructif réalisant une trame étendue et infinie. Le système constructif, à la fois extrêmement fin, léger et intelligent permettait par un jeu nommé par l'équipe de Monsieur Candilis "Meccano" de produire rapidement des espaces modulables, transformables à volonté et donc de jouer avec les espaces intérieurs et extérieurs produisant un vrai urbanisme. On le sait, en architecture, la structure signe l'intelligence. Ici, à Port Leucate, avec ce système, l'équipe de Monsieur Candilis avait simplement inventé une nouvelle forme de mapping architectural si à la mode aujourd'hui. Il suffit de regarder les dessins techniques de ce système pour en comprendre le génie de sa simplicité et donc de sa beauté constructive. À l'égale des grands systèmes constructifs allant de Eiffel à Mimram, Monsieur Candilis avait offert à Port Leucate et Port Barcarès une possibilité d'avenir, un choix urbain et architectural d'une très grande originalité. C'est, sans doute, cette originalité que des yeux aveuglés par une fausse histoire du lieu n'ont pas su percevoir. On n'aime plus, en effet, une architecture qui dans sa forme, sa légèreté, sa fonction donne trop vite à lire son sens de l'égalité, son humanisme et surtout, sa liaison franche avec le paysage.
On notera que ce système de Port Leucate était si important pour Monsieur Candilis et son équipe qu'il faisait la couverture de son ouvrage sur les constructions de loisirs !

Recherches sur l'architecture des loisirs
Georges Candilis
édition Karl Krämer, 1972. 

Pour revoir tous les articles sur Monsieur Candilis :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/search/label/Georges%20Candilis

maquette et Capitainerie :

 

 

ici, le centre commercial fait du même système :

 

Comme un jeu de construction aux possibilités infinies :

 

 Détails techniques :

 

 



Je vous donne à nouveau à voir les cartes postales qui rendent compte de ce système constructif :

carte postale de la capitainerie du port de Port Leucate des éditions DINO non datée.


carte postale du centre commercial de Port Leucate, éditions Audumares, non datée :