mardi 31 mai 2016

English brutalism for a french student

Un gazon parfaitement entretenu qui garde encore les traces fraîches de sa tondeuse, une branche venant dans le ciel, au premier plan, raconter le paysage, puis au fond, sur la ligne médiane de la carte postale, une succession de quatre pyramides ajourées.
Nous sommes en Angleterre.



La carte postale des éditions Cotman-Color publiée par Jarrold and Sons est typique des productions anglaises, d'abord par son format plus petit que celui des cartes postales françaises, puis aussi par ses couleurs toujours saturées, enfin au verso, beaucoup d'indications et de précisions mais on n'oublie pas d'oublier... le nom de l'architecte.
Ici nous sommes donc à l'Université de East Anglia qui reçut en 1969 le prix "Civic Trust Design awards". Mais qui le reçut ? Quel architecte ? Facile... C'est Denys Lasdun !






On devine aussi, d'un peu loin certes, un travail d'architecture abouti, solide et brutaliste. Même depuis cette distance, distance qui veut certainement adoucir la dureté de l'architecture en la noyant dans sa verdure, on arrive tout de même à sentir ce travail d'une volumétrie puissante, d'un béton brut d'une très grande qualité. Ce qui saute aux yeux depuis cette carte postale c'est bien que la forme générale est reconnue, admise comme un héritage de l'histoire la plus ancienne de l'architecture, la pyramide, mais percée, ouverte, creusée d'alvéoles, et qui offre aussi l'occasion d'une circulation et surtout d'une jubilation du paysage, comme dégagé par la concentration des espaces dans ces pyramides.
La densité invente donc à la fois une forme et libère un espace dont on questionnera le vide total depuis cette carte postale. Quoi faire de cet immense champ vert sans aucune ponctuation autre que l'architecture ?
Pourrait-on trouver d'autres points de vue de cette architecture pour mieux en saisir les qualités développées par Denys Lasdun ?
Oui !
Par deux fois, l'Architecture d'Aujourd'hui donne à voir l'Université de East Anglia. Le texte d'introduction nous permet bien de relativiser la vision champêtre de l'ensemble donnant l'illusion d'une intégration et d'une préservation alors même que ce paysage est en fait totalement bouleversé. On comprend aussi que ces pyramides sont un rempart cachant depuis ce point de vue l'immensité du campus qui se tient à l'arrière de cette ligne de front qui offre aux résidents une vue totalement dégagée des bâtiments pédagogiques qui se trouvent toujours en liaison par l'arrière mais invisibles depuis les chambres. On comprendra aussi que si brutalisme il y a, il est surtout dans un béton clair à sa charge, à des formes retenues seulement à leurs usages, à une massivité de l'ensemble traité comme un paysage en soi. Pour le reste, l'analyse des besoins, les relations au paysages et aux fonctions entre elles, tout cela dénote d'un héritage moderne reconnu. L'ampleur du programme fait surtout l'étonnement de sa réalisation et la nécessaire puissance de son horizon.
On notera enfin que Catherine, la jeune étudiante ne dit rien de négatif sur son université. On ne sait pas comment remplir les trois petits points de suspension à la fin de sa phrase. "un séjour vraiment passionnant..." Il fait sans doute très très chaud à East Anglia...

On trouvera sur ce site de très belles images contemporaines de cette superbe université :
http://viewportmagazine.com/architecture/brutalism-on-campus/




 



 



 







lundi 30 mai 2016

Cette joie porte le nom d'Architecture

Parfois, je suis perdu dans mes allers-retours entre la photographie plasticienne et la photographie de cartes postales, ne sachant plus au fond, laquelle des deux me donne l'idée d'aller revoir l'autre.
En voici un exemple parfait :



Le lieu : Auderghem en Belgique.
L'objet : Résidence Europa II
L'architecte : Josse Franssen
Le photographe de la carte postale : R. Bauters.
À l'évidence la carte postale est à l'origine une photographie en noir et blanc colorisée. Il doit donc exister une version uniquement noir et blanc de cette carte postale. Mais ce qui nous intéresse ici, c'est le choix du point de vue du photographe R. Bauters. Si j'en crois mes connaissances, (Claude Lothier et Sylvain Bonniol confirmeront ou pas) pour réaliser un tel cliché il faut être en face à une hauteur équivalent à peu près à la moitié de l'immeuble photographié. On est, en quelque sorte en regard.

 

On pourra interroger ce désir de frontalité qui plaque littéralement la façade au fond de l'image comme une chose plate et continue, une grille sans profondeur car sans fuyantes visibles et affirmées, mises à part les très minuscules diagonales de l'auvent sur le toit terrasse, très beau d'ailleurs.
Il va de soi que ce  désir d'image est celui d'un désir de saisissement total et complet de l'immeuble et de son architecture, d'en donner la chance à chacune des fenêtres et donc des appartements de se situer sur la carte postale. Il s'agit aussi de raconter l'architecture, donc dire sa planéité parfaite, implacable, solide comme un écran et aussi comme une superposition de vues à prendre depuis le dedans de la barre. Certes la colorisation affecte un peu l'ensemble, en rompt un rien la dureté. On remarque comment les coloristes ont choisi de laisser en noir et blanc les bandes verticales des balcons... Pour tenter l'imitation d'une colorisation affirmée par l'architecte ou pour en atténuer la dureté ? Les vues contemporaines ne nous permettent pas d'y répondre. Par contre il est assez aisé de retrouver à peu près dans quel immeuble le photographe a pu s'installer pour faire son cliché.
Il est toujours intéressant de se rendre sur les lieux, de voir l'épaisseur, de comprendre la symétrie des deux façades principales car si la photographie de la carte postale discute d'une grille moderne, nous rappelle que l'architecte belge Josse Franssen fut un chantre des C.I.A.M et d'un modernisme parfaitement usité, il ne faut pas confondre trop vite l'image et la réalité de la construction.
Par contre, avec la frontalité de Andreas Gursky, celle de la barre de Dubuisson à Paris, celle qui vient résonner dans mon imaginaire et se confronter à une image populaire, je crois bien que le photographe cette fois, fait de la grille la totalité de l'architecture de Dubuisson. Cette réduction essentialiste, ce suc de l'architecture dénote une appropriation historique de la référence à De Stijl faite à la fois par Dubuisson et Gursky, comme si, l'un et l'autre, parfaitement heureux qu'une façade puisse ainsi aussi durement, aussi frontalement n'évoquer que cette réduction. Toute l'architecture, tout le plan, tout serait alors tenu à l'intérieur, invisible, imperturbable. Il pourrait bien y avoir chez Gursky regardant Dubuisson un regard volontairement dégagé des questions de l'Architecture pour n'en percevoir finalement que le piège visible de sa grille. L'orthogonalité bien régulière, heureuse d'elle-même, serait la complicité aimante (aimantée ?) d'un photographe et d'un architecte. Qui attrape l'autre ? Là où le photographe Bauters prend en une seule fois, sans montage, par le seul recul l'architecture au piège de son cadre, pour l'avoir totalement, Gursky fabrique, distille à grand coup de montage, une image. Mais l'un comme l'autre, le photographe de carte postale comme celui des galeries ne font que dire en quelque sorte que l'œil est parfois trop petit et que seules, distance et mesures, permettent d'en tenir les qualités. Ils n'y sont pour rien. Franssen et Dubuisson savent eux, qu'il y a dans les barres plus grandes que les fonds d'œil une joie indicible que la perspective bien comprise ne dénonce pas mais sert, ouvre, et surtout reconnaît. Cette joie porte alors le nom d'Architecture.

 

 

samedi 28 mai 2016

Maquette avec un point d'appui et surtout d'interrogation : résolu !

Je viens de faire l'acquisition de quatre photographies provenant de chez Biaugeaud et Harang, spécialistes de la maquette d'architecture et de sa photographie.
Les quatre images sont... spectaculaires, regardez :









Mais qu'est-ce que c'est ? Je vous entends derrière votre écran, attendant avec impatience que je vous informe... Mais voilà, alors que je me réjouis souvent de la capacité de souvenance des images, je n'arrive pas à identifier celles-ci alors que je suis persuadé d'avoir déjà vu ce projet publié quelque part. Mais je fais chou blanc. Ma mémoire m'a fait chercher, et je ne sais au fond pas pourquoi, du côté de Jean Bossu mais aussi d'une architecture provenant des colonies françaises d'Afrique du Nord. C'est cette image qui persiste et c'est d'ailleurs cela qui me fit acheter ces photographies.
Que voit-on ?
Une très belle coupole en carton que l'on devrait imaginer en  béton, coupole immense si on s'attache à son échelle et qui rejoint le sol par son centre en formant un cône très ouvert et touchant le sol par des piliers formant à leur tour un puits de lumière. Cette coupole est ensuite complétée par un pan de verre qui s'y accroche, presque comme un voile puis des petites constructions viennent enfin fermer le cercle et le plan pour offrir ce que l'on imagine être des boutiques, des stands permanents de ce marché. Je dis marché mais rien dans ces photographies n'évoque la fonction de cette construction même si, cela ne fait pour moi aucun doute. Est-ce là aussi un souvenir des images perdues dans ma mémoire ? L'écriture est bien celle de la modernité, celle des paraboloïdes hyperboliques qui font penser immédiatement au marché de Royan par Louis Simon ou, pour la structure affirmée à Guillaume Gillet et Bernard Laffaille pour la Guérinière. Mais voilà, rien n'est sûr. Je pensais aussi à Jean Bossu, ou bien aussi à Mauri ayant tous deux travaillé pour l'Afrique du Nord. Peut-être que Xavier Dousson nous aidera !
Ce dont je suis à peu près certain c'est que cela ne fut pas construit car une telle œuvre, une telle prouesse technique aurait passé devant mes yeux même si je suis loin d'être infaillible. La preuve !
La grande élégance, la perfection technique, le jeu subtil des espaces permettant tout en fermant et définissant le lieu de le laisser ouvert et l'articulation avec le reste des constructions, font penser à un lieu ensoleillé ayant dans son usage comme dans son image (surtout) besoin d'un parasol géant. Les murs des petites constructions sont aussi percés de claustras ce qui ajoute à une projection d'un lieu ensoleillé que la photographie de l'agence Biaugeaud et Harang accentue par une lumière dure, contrastée d'une très grande beauté ! Que j'aimerais mettre mes yeux sur les autres productions et archives de cette agence Biaugeaud et Harang.
Alors, chère lectrice, cher lecteur, j'offre une lithographie originale au premier qui me donnera la solution de l'auteur de cette merveille. On voit aussi comment la photographie permet de visiter le lieu encore inexistant, de rêver à sa promenade. Le fond noir fait penser immédiatement aux autres images de maquettes d'architectures que nous avons vues sur ce blog : nuit parfaite percée d'une lumière crue. Le travail des photographes et du tirage est remarquable et procure une émotion esthétique puissante. On n'y résiste pas, non ?
Dernière minute ! 
Aujourd'hui, 12 juin, je trouve la solution ! Ouf ! Il s'agit rien moins que d'un projet de Messieurs Andrault et Parat pour un centre commercial à Sceaux qui ne fut pas construit. On trouve une double page dans l'Architecture d'Aujourd'hui de 1957 (!) sur le duo d'architectes et c'est en cherchant des documents sur la Basilique de Syracuse que j'avais enregistré cette maquette. Comme quoi ma mémoire visuelle est juste mais aussi en partie défaillante ! Quel plaisir ! Je vous donne les éléments de l'article. On notera que l'ensemble des photographies de l'article de la revue est bien crédité là aussi de Biaugeand et Harang... Contactez-moi !

 

 

 

 


Mais comme nous sommes sur un site de cartes postales, je vous montre une nouvelle carte de la gare routière de Royan, aujourd'hui Galerie Louis Simon, qui répond à une toute autre échelle au même principe : un plan circulaire, un pilier central et unique, un toit en cône, un mur rideau en verre. Le Yacht-Club de Pauillac en est un autre. N'est-ce pas la Conservation du Patrimoine d'Aquitaine ? Vous en êtes où avec la protection de ce bâtiment à Pauillac ?



La carte postale de la Gare routière est une édition Théojac sans date ni nom de photographe ou d'architecte. Ce point de vue, par opposition à celui déjà présenté ici, nous propose de voir davantage l'auvent qui protège les voyageurs et dont la longueur joue à la fragilité vu l'extrême finesse de l'auvent porté par de très maigres tubes métalliques. L'auvent permet à la fois de protéger mais aussi d'indiquer le sens de stationnement des bus et aussi, en suivant son ombre, de simplement trouver l'entée. Génie de la simplicité efficace ! Bravo Louis Simon !
Merci de ne pas diffuser ces images sans autorisation.
















mardi 24 mai 2016

Les frères, pareils, les pères, de même.

 - Mais Putain, mais laisse-moi bordel !
 - Allez quoi fais pas ta chochotte ! Montre ! Quoi !
 - Oh oh mais qu'est-ce qui ce passe là-dedans ?
Alvar venait d'entrer furieux dans la chambre de Jean-Jean et Mitica. Il trouva les deux adolescents sur le lit complètement retourné de Jean-Jean, celui-ci brandissant dans sa main un morceau de papier froissé que le père eut du mal à reconnaître d'emblée comme une carte postale.



 - Ba, c'est Jean, qui fait chier, il veut absolument me prendre ma carte !
 - Non mais ! C'est pour ça que vous faites ce foutoir ? Et tu me parles autrement s'il te plaît ! Mais quelle carte d'abord ? Celle-là ? demanda Alvar en pointant du doigt celle que Jean-Jean avait dans sa main.
 - Ouais, celle-là, c'est celle de mon adoption... Affirma Mitica.
 - Jean-Jean ! Rends à ton frère sa carte postale et faites un peu moins de bruit, non mais sérieusement...
Jean-Jean tendit la carte à son frère et au moment même ou Mitica voulut la saisir, il recula sa main dans ce jeu enfantin. Alvar, d'un geste rapide, saisit l'objet de discorde et rendit la carte à Mitica.
 - C'est vrai que c'est une carte de son adoption ? Demanda soudainement sereinement Jean-Jean.
 - Ba oui Ducon, tu crois que je pourrais plaisanter avec ça... rétorqua immédiatement Mitica.
 - Oui, en effet c'est la carte que nous reçûmes de sa mère pour préparer notre venue. Ton frère a raison. Regarde. Ici au stylo la mère biologique de Mitica avait fait un cercle pour nous indiquer la chambre où elle serait pour le rendez-vous mais ce n'était pas sa maison, juste une chambre d'hôtel payée par l'agence d'adoption.
 - Pourquoi dans un hôtel ? demanda Jean-Jean qui se calma et devenait très curieux.
 - On ne sait pas, mais je crois pour un peu camoufler les conditions de vie des parents, je pense.
 - Tu avais quel âge ? demanda Jean-Jean à Mitica.
 - Ba tu sais bien non Ptit Frère ? On t'a déjà raconté non ? T'écoute pas ? J'avais... euh...
 - Il avait deux ans, répondit Alvar. Il était tout petit et toi Jean-Jean tu n'étais pas né ni même au programme !
 - Mouais...Enfin, je me rappelle quand vous m'avez annoncé que j'aurais un petit frère, reprit Mitica.
 - Oui ? Vraiment ? Alvar était surpris qu'il puisse s'en souvenir.
 - Oui, j'étais vachement heureux, je me rappelle aussi que vous m'aviez acheté une voiture téléguidée, ce même jour.
 - Oh l'autre ! Tu te souviens ? Jean-Jean était incrédule.
 - Ouais... j'avais quoi trois ans. À ce moment ça me plaisait d'avoir un frangin, si on m'avait dit que ça serait un gars de ton genre, j'aurais demandé à retourner en Roumanie ! À peine avait-il fini sa phrase que Mitica et Jean-Jean partirent à rigoler et se roulèrent ensemble sur le lit.
 - Bon... je ne sais pas comment je dois prendre tout ça, rétorqua Alvar, bien certainement, vu vos rires... Mais je fais quoi moi de cette carte postale ?
 - Oh le roumain le roumain le roumain, il va rentrer chez lui le roumain le roumain !
 - Oh ta gueule toi le Jean Jean le Jean Jean le Jean Jean, avec un prénom pareil tu pourras aller nulle part ! Les deux adolescents repartirent de plus belle dans une franche rigolade.
 - Non, mais vous allez tout de même me surveiller votre langage, non mais on n'est pas dans la cour du lycée ici et puis rangez-moi ce bordel et...
 - Bordel ? Oh oh ! t'as dis bordel Papa ! Si si t'as dis bordel ! Papa ! rétorqua Mitica.
 - Bordel, bordel, bordel bordel ! Appuya Jean-Jean.
 - Je ne me souvenais plus que ta mère biologique avait écrit au dos de cette carte.
Au moment précis où Alvar formula cette dernière phrase, Mitica stoppa de jouer avec son frère. Le silence se fit dans la chambre. Mitica reprit la carte postale de la main de son père puis essaya de lire le texte qui était écrit en roumain.
 - J'y arrive pas, je peux pas lire l'écriture de cette mère-là, lâcha Mitica assombri.
 - Je peux te dire à peu près le contenu mais pas l'exacte phrase. Elle donne l'adresse, et indique aussi le moment. Je me souviens que l'agence nous avait traduit sur place. Émilie ? Émilie ?
Alvar appela la mère des deux adolescents.
 - Oui ? Quoi Alvar ?
 - Tu te souviens de la traduction de la carte postale de Mitica, tu sais celle que sa mère nous avait envoyée pour le rendez-vous ?
 - Non... il y était juste question du jour et du lieu je crois et elle avait entouré au stylo sa chambre. La carte postale doit être rangée dans les papiers d'adoption, dans ton bureau, tiroir de gauche, répondit Émilie qui ne savait pas ce qui se tramait dans la chambre des adolescents.
 - Oh purée, ba t'es mal mon gars ! Affirma Jean-Jean à son frère, comprenant que ce dernier avait fouillé dans les affaires de son père.
 - ..... ba.... désolé... mais.... bredouilla Mitica.
 - Tu voulais savoir et la revoir encore une fois ? C'est normal, mais tu peux demander, mon gars, tu sais. C'est ton histoire, il n'y a pas de secret, reprit immédiatement Alvar en s'asseyant sur le rebord du lit entre les deux adolescents.
 - J'ai deux fils. Deux. Deux en entier. Deux petits mal élevés, deux petits imbéciles, deux petits trous du cul... qui m'épuisent parfois...
Les deux adolescents restèrent bouche bée à l'énoncé de cette phrase et à la complicité que cela induisait.
 - Qu'est-ce que tu dis Alvar ? demanda Émilie ? J'entends pas depuis le salon...
 - Il dit "trou du cul" reprit Jean-Jean.
 - Ouais Maman ! Papa il a dit "trou du cul" ! Affirma à son tour Mitica.
Et les trois hommes de la maison partirent à rire. Alvar préféra, d'un petit coup de pied, fermer la porte de la chambre.

 



 

lundi 23 mai 2016

Chiwawa et Paris-Turf

On aime ici regarder au travers des cartes postales l'architecture mais aussi le design. On aime aussi lire les aménagements intérieurs lorsque les photographes de cartes postales ont l'idée d'entrer dans les bâtiments et de nous faire vivre les espaces internes.
Quand cela arrive c'est que souvent il y a là une particularité, une originalité à signaler ou au contraire, une simple nécessité de donner à voir les lieux de vie. Nous avons donc assez souvent des intérieurs d'internats, de salles de classes, des chambres ou des halls d'accueil d'hôtels ou d'hôpitaux etc...
Voici un autre genre : l'aménagement des décors d'un drugstore.



La carte postale Hcolor nous donne beaucoup d'informations et on sent à cette nécessité qu'il s'agit là d'un événement architectural qui mérite de l'attention ! Nous sommes donc au Drugstore de la Défense.
"Aujourd'hui un complexe ultra-moderne préfigure déjà le "demain" de Paris : un oasis de luxe pour tous. "Le DRUGSTORE à la FRANÇAISE".
Voilà le programme ! Rien que ça ! Amusons-nous que ce demain soit non pas ultra-moderne mais imite mal l'intérieur d'un bateau surchargé de placages de palissandre et d'accastillage de pacotille !  Tout est doré par le reflets d'un cuivre en abondance, briqué comme un hors-bord italien qui serait bourré d'un trésor de petits riens, d'une bimbeloterie de fumeurs et de décors de bureau...Le chic à la française avec lunettes de soleil, petits sacs à main de soirée et vitrines pleine de futurs cadeaux pour la fêtes des pères. Épouvantable... J'y aurais au moins appris le sens du mot tabletterie.
Encore ?



Du bois partout, le décorateur a du avoir un prix de gros sur les plafonniers en cuivre d'un Titanic imaginaire, la lumière est d'ailleurs crépusculaire et doit, sans doute, offrir l'occasion d'achats compulsifs qu'on regrettera à la lumière du jour ! La mer est bien loin à la Défense...
Enfin, on pourra acheter Time Life ou Play Boy à moins que l'on choisisse Paris-Turf et un paquet de Gitane.
Tiens, et si je me laissais séduire par ce briquet en forme de DS en imitation bronze ? On rira franchement du poste de commandement de navire au premier plan à droite.
On notera une particularité de cette carte postale c'est qu'elle donne à voir le lieu même de son achat. À gauche de l'image, un couple choisit une ou des cartes postales. La mise en abyme est subtile et c'est ce que j'aime le plus sur cette carte postale.
Pourtant l'éditeur nous offre un détail supplémentaire au verso de sa carte postale, il nous offre le nom du décorateur : Slavik. On sait même que l'exécution de l'aménagement fut réalisé par Lubet.
On se dit alors que ce que l'on aime le plus dans la décoration c'est que, heureusement...elle se démode...Sans doute que ce type de boutiques et de commerces, aussi novateurs fut-il, aurait pu dans l'histoire du Design laisser un souvenir moins grotesque.
Allez, allons beaucoup plus loin :



La chose est tellement énorme qu'elle fait peur à la netteté de l'image !
Tombant du plafond du Hyatt Hotel de Singapour, le plus grand candélabre du monde exerce sur les corps des visiteurs un poids considérable dont l'utilité doit surtout être dans sa monstruosité. Ce qu'il y a de bien avec les délires des décorateurs c'est quand les moyens financiers semblent leur dire qu'ils n'ont aucune raison de ne pas exister et que, l'idée géniale d'un déploiement irraisonné d'une forme rencontre la possibilité de son existence. Ici c'est parfait et puis on pourra écrire ça au dos de la carte postale. Le lustre devient un plafond couvert de centaines de tubes de verre tombant en stalactites glaciales sur le client. On notera l'indigence du reste du décor et les malheureuses jardinières remplies à la va-vite de plantes vertes. Les matériaux trop rutilants pour être honnêtes devaient vous signifier dès l'entrée qu'une nuit vous coutera le revenu moyen mensuel d'un autochtone mais que vous n'y ferez pas attention car vous aurez le nez en l'air pour admirer le délire somptueux et cliquetant du plus grand lustre du Monde.
N'oubliez pas en montant dans votre chambre de signaler au Room Service que votre chiwawa ne mange que du carpaccio de bœuf. Et ne vous excusez pas, si, dans l'ascenseur le petit chéri laisse un petit cadeau fumant sur la moquette. Bienvenu au Hyatt Hotel !
Le décorateur reste ici anonyme...









 


dimanche 22 mai 2016

Les fleurs viennent-elles d'Hiroshima ?

Hier, sur une table à tapisser, coincé entre un lapin en porcelaine et un vase en verre, un petit paquet de cartes postales attend que je les regarde.
Immédiatement, la dame qui les vend me signale comme pour me prévenir d'une possible déconvenue que "ce ne sont que des cartes du Japon."
Parfait...
Il s'agit en effet d'une petite série sur Hiroshima et d'une carte isolée sur Nagasaki. Voyage atomique ?
Je regarde avec vous :



D'abord le musée mémorial que la photographie nous montre dans une parfaite symétrie que le jet d'eau central accentue encore. Des fleurs, des palmiers, un premier plan qui réjouira ceux qui croient encore au cliché de la carte postale. Bien entendu, nous regarderons surtout ce beau bâtiment que l'on doit à Kenzo Tange, Takashi Asada et Sachio Otani. On y reconnaît d'emblée l'influence internationale du Mouvement Moderne et de Le Corbusier. On aimera surtout la vraie hauteur des pilotis qui permettent de suspendre la construction et de dégager le regard. D'une grande simplicité, presque timide, la barre s'étend de gauche à droite de l'image en ne portant rien de dramaturgique dans son image à l'inverse exact de son contenu. Une sérénité. Le ciel est bleu sur Hiroshima.



Le cénotaphe fait de même. Dans la tension de son arc, dans la symétrie parfaite de son placement, il permet de laisser l'œil relier sa modernité à la ruine d'Hiroshima. À la fois monument et objet de visée, il permet de tenir la tension émotionnelle dans la réalité du plan dessiné par les architectes. Je ne sais pourquoi mais je regarde surtout la parfaite liaison des blocs entre eux. Les fleurs viennent-elles d'Hiroshima ? Y sont-elles cultivées ? Le ciel est bleu sur Hiroshima.



Le monument de Doin-Gakuto offre une soudaine verticale qui évoque d'emblée une image de l'architecture traditionnelle japonaise, ici, comme synthétisée en quelques signes clairs. Des oiseaux y sont posés, y viennent observer les alentours. On aimera aussi regarder les lampadaires coniques perdus un peu dans la frondaison des arbres. Le ciel est bleu sur Hiroshima.



Depuis l'observatoire du Mont Yumiharidake à Sasebo, nous regardons Nagasaki. Nous regardons surtout cette coque en paraboloïde hyperbolique suspendue par sa propre tension. Rien ne nous indique son architecte. Petite chose comme deux ailes d'oiseau. Le ciel est moutonneux sur Nagasaki.



Retour sur le cénotaphe d'Hiroshima. Nous sommes passés dessous, nous avons plié l'échine, nous visons un éclat soudain, puissant, irradiant. Les ombres se durcissent d'un coup. Que se passe-t-il ? Entendez-vous le vrombissement un peu sourd ? Soudain, le ciel est vert sur Hiroshima.

 

 



 

Dans l'Architecture d'Aujourd'hui de 1951, on trouve un article très complet sur la construction du mémorial d'Hiroshima. En voici quelques extraits :