samedi 21 octobre 2017

Un constructiviste à Marseille en 1928

 - Je l'ai ! Je l'ai ! Je l'ai !
Dans les enceintes de mon autoradio, la voix de Jean-Jean me fit comprendre que je devrais immédiatement à la fois être dans sa joie et dans la compréhension du sujet dont il me parlait.
 - Ouais, David, j'ai retrouvé Zolotobin ! Une photo et une carte !
 - Attends... Deux secondes, Jean-Jean, deux secondes.
Je stoppai la voiture sur le bas côté, je coupai le moteur et j'essayai d'avoir une conversation plus posée avec mon interlocuteur.
 - Alors ? Redis-moi ça calmement, Jean-Jean.
 - David, On a retrouvé ce matin une photo de Zolotobin dans les papiers. Tu vois le carton Pays de l'Est sur l'étagère ?
 - Oui.. Celui à gauche en bas de l'escalier ?
 - Euh non, celui en haut...
 - Qu'importe ! Donc ?
 - Bon eh bien, là, dans une enveloppe du même papier que le texte, on a retrouvé une photo et une carte postale d'un pavillon à la Foire de Marseille en...
 - ...en 1928, reprit Walid dont je reconnus la voix en arrière-plan.
 - Ouais, 1928. La photo est étrange comme un photomaton mais découpée dans une carte postale également très bizarre mais au dos, figure le nom de Georges Zolotobin écrit au crayon et la date de 1928.
 - Ah mais c'est génial ! Je veux voir ça !
Dans l'instant, sur mon portable, je reçus une image des mains de Jean-Jean tenant la photographie puis une autre tenant la carte postale.


























Je m'empressai de demander à Jean-Jean de me faire des scans rapidement et de me les envoyer. Le temps que je rentre chez moi, j'avais dans ma messagerie les images suivantes :




Bien entendu la surprise était totale et la jubilation bien grande. Pourtant il fallait tenter de froidement analyser ce qui pouvait l'être et relativiser aussi un peu l'importance des documents, non pas tellement pour eux-mêmes mais pour ce qu'ils pouvaient livrer d'informations supplémentaires sur Georges Zolotobin. D'abord la carte postale du Pavillon de l'U.R.S.S à la Foire de Marseille n'indiquait aucun lien direct avec Zolotobin à part la promiscuité du rangement. Cela ne nous permet pas d'établir de liens directs et concrets entre les deux images, à part, bien entendu, que Jean-Michel Lestrade avait cru bon de les ranger ensemble. Rien dans les feuillets tapuscrits ne signalant ce Pavillon de l'U.R.S.S. il fallait tenter de trouver un lien. On pourrait en suivant le texte penser que Zolotobin, seulement quelques années après le Pavillon de Melnikov à l'exposition des Arts Décoratifs de 1925, avait pu aussi s'occuper de celui de Marseille en 1928. Cela semble assez logique. Mais de quel type d'aide s'agissait-il ? Avait-il participé au dessin et à l'architecture de ce Pavillon de Marseille ? Ou, comme pour Paris seulement servi d'intermédiaire ou de médiateur entre les différents acteurs de cette construction ? On notera que malheureusement la carte postale ne donne pas le nom du ou des architectes de ce Pavillon qui pourtant affiche clairement une modernité bien marquée.



Le Pavillon rouge flotte sur Marseille.

Sa volumétrie, ses décrochements, la gestion de l'entrée, l'importance même accordée au mot U.R.S.S écrit dans une superbe typo et brandi comme un totem, tout cela donne bien la sensation d'une architecture encore marquée par le constructivisme. On devine aussi des aplats de couleur et on regrette vivement que l'image soit imprimée seulement en deux tons...
Je n'ai rien trouvé sur cette manifestation commerciale à Marseille mais les Foires commerciales de ce type sont assez fréquentes et bien entendu imitent celles de la capitale. Au dos de la carte postale on trouve les indications suivantes :




On peut donc penser que Zolotobin ait travaillé pour cette Représentation Commerciale de l'U.R.S.S. à Paris. On notera que les tampons de la Poste indiquent bien que la carte fut expédiée au moment même de la Foire de Marseille même si le correspondant semble illisible. Il ne peut bien entendu pas s'agir de Jean-Michel Lestrade car, rappelons-le, ce dernier est né en 1923. Les documents sont donc arrivés chez Lestrade bien après. Don de Zolotobin lui-même ? Possible mais on sait aussi que Lestrade conservait et cherchait des documents de tous ordres pour ses archives. On notera enfin que le cliché de ce Pavillon de l'U.R.S.S est signé Rap et que la qualité éditoriale de cette carte postale est vraiment peu luxueuse...
Pour ce qui est de la photographie de Georges Zolotobin, je crois que c'est plus simple. On voit d'abord un jeune homme au chapeau à bord très large et bien enfoncé sur une tête qui est sérieuse et qui sait qu'elle pose pour la postérité. Il s'agit d'une photographie de studio. On devine un manteau d'hiver et la date écrite à la plume et à l'encre verte nous indique le 20 mars 1927 ce qui correspondant à l'age de Georges Zolotobin né en 1900.


Au dos, avec la date apparaît donc son nom, écrit au crayon et sans doute a posteriori comme pour ne pas oublier qui est photographié. On reconnaît d'ailleurs l'écriture de Jean-Michel Lestrade. On note aussi que la photographie est tirée sur un papier ayant les marquages d'une carte postale, je pense donc que cette photographie fut tirée sur un papier pour carte-photo, sans doute avec plusieurs vues puis découpée selon les besoins en plusieurs petites photographies. Mais quel visage ! Quelle expression ! Il serait aisé de voir dans ce portrait l'image d'un jeune homme de caractère, sûr de lui, fier même, surtout de son chapeau superbe. Vu la familiarité de cette photographie, je suis certain que c'est Zolotobin qui l'a donnée directement à Lestrade, je n'imagine pas qu'un tel document, aussi personnel, ait pu être trouvé par Lestrade en dehors du cercle familial de Georges Zolotobin. Si on conclut à cette proximité, cela veut dire également que Jean-Michel Lestrade a connu personnellement au moins la famille de Zolotobin si ce n'est Zolotobin lui-même qui, rappelons-le habitait Sèvres tout comme Lestrade...
Un scénario se dessine : Lestrade fait un enregistrement du témoignage de Zolotobin et lors de cet enregistrement ou à cause de lui, une amitié pousse Zolotobin a lui confier son histoire et aussi ces deux documents. Mais pour quoi faire ? Et pourquoi alors que l'ordre règne dans les documents du Fonds de l'Agence Lestrade, le tapuscrit de l'interview et ces deux documents ne furent pas conservés ensemble ? Un projet éditorial ? Un article ? Et pourquoi Zolotobin ne fait pas allusion à ce Pavillon de la Foire de Marseille en 1928 dans son témoignage ? Pourtant, ce Pavillon par son architecture prouve bien qu'en 1928 la jeune U.R.S.S communiquait encore avec une architecture moderne et abstraite même pour une manifestation en Province. Mais quel document !
Le souci c'est que, évidemment plus on creuse, plus il faut trouver des réponses. Qui furent les architectes de ce Pavillon, quel rôle Georges Zolotobin a joué dans sa construction, pourquoi ne pas l'évoquer dans son témoignage et donc aussi, finalement quelle relation exacte entretenait Jean-Michel Lestrade avec son voisin, son aîné de 23 ans, ayant travaillé avec Melnikov et l'avant-garde soviétique ?
Merci de ne pas copier ces documents sans l'autorisation de la famille Lestrade.


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