samedi 2 décembre 2017

D'écrire sur l'architecture

Il y a bien longtemps, j'ai commencé cette collection de cartes postales en cherchant tout particulièrement les cartes postales sur lesquelles les expéditeurs faisaient des annotations ou des signes divers comme des croix, des cercles, des flèches pour indiquer quelque chose ou simplement se situer.
Se situer...
Dans une image photographique, pouvoir projeter sa propre vie ou au moins l'expérience d'un instant, pouvoir signaler à l'autre un état de l'espace de l'image qui fut nôtre ou le moment d'une correspondance, marquer l'image pour la particulariser et la dégager du commun de l'édition, tout cela me fascine. Il s'agit toujours pour celui qui s'inscrit là de fonder une complicité avec le lieu, son image et donc sa représentation mais aussi celui qui reçoit et qui doit saisir à la fois le signe lui-même mais aussi ce qu'il précise. La difficulté étant toujours pour le signe, tout en marquant l'endroit, de ne pas le recouvrir !
Voici deux exemples dont un premier bien spectaculaire en ce sens :



D'abord il ne sera pas difficile d'admirer la superbe architecture de ces H.B.M 212 de Germain Dorel dont l'uniformité de l'héliogravure en un seul ton ne rend pas hommage à la polychromie de ses matériaux tout en accentuant les volumes et la belle perspective. Vous trouverez si facilement des infos sur cet ensemble maintenant inscrit à l'inventaire des Monuments Historiques que je ne vous ferai pas l'article !

Allez ici :
https://www.tourisme93.com/document.php?pagendx=865
ou encore ici :
http://www.atlas-patrimoine93.fr/pg-html/bases_doc/inventaire/fiche-mh.php?idfic=007p07

Ce qui nous intéresse c'est bien comment sur cette carte postale Cim, le ou la correspondante qui écrit à ses parents réussit l'exploit de raconter son changement de logement et d'en détailler toutes les fonctions ! On notera le soin extrême à écrire hors de la façade en rejetant dans le ciel ou sur la chaussée les inscriptions reprises par des petits points et des flèches signalant les fenêtres ou les balcons !



























Il est, je le redis, assez rare finalement que des correspondants donnent leur avis ou leurs impressions sur leur lieu d'habitat comme si l'image comblait à elle seule ce besoin. Ici, non seulement le correspondant écrit sur l'image mais remplit aussi le dos de la carte postale de précisions sur ce déménagement. La carte est datée du 20 avril 1937, l'ensemble H.B.M. est donc tout récent encore.



" Nous venons de chercher Paris-Soir, et regardant les cartes postales, je vous envoie en même temps, que réponse à votre lettre, la vue de notre nouveau logement, vous comparerez avec la carte envoyée au mois d'octobre dernier, qui vous donnait la vue côté de la route, tandis que celle-ci donne sur les jardins, ce n'est qu'à titre d'indication car beaucoup de volets sont clos, c'était avant de prendre possession des immeubles. Nous sommes bien et pas haut. Je vous mets le détail de l'installation au recto et vous joins en même temps le reste de la correspondance."

Je vous conseille d'aller lire le Paris-Soir en question ici ! Magie de l'internet !
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76416092/f1.item
On notera que le correspondant est observateur car il affirme que le photographe des éditions Combier est venu avant la livraison des appartements en s'appuyant sur le détail des volets tous ouverts. Pourtant il y a bien là quelques fenêtres ouvertes également et même des rideaux... On note également que ne pas être trop haut est encore considéré comme une chance. Sur l'image, drôlerie de l'indication des poubelles, certainement pour souligner leur distance avec le nouvel appartement. On note également les lieux de rassemblements ! Un tel document est bien entendu une richesse que les inscriptions ne viennent pas perturber mais au contraire enrichir d'un mode de perception et de réception de l'architecture. On comprend même que, dans ce cas précis, l'achat et donc le désir de représentation dans l'image furent spontanés car associés à l'achat du journal. L'image fait envie et donne l'idée de correspondre en quelque sorte.
Tout autre exemple d'inscription, tout autre architecture :


Cette carte postale des éditions SL nous montre la ville de Port-Barcarès en cours de construction. Ce qui en fait l'intérêt c'est bien que l'éditeur a cru bon d'indiquer aux acheteurs l'ensemble des nominations des lieux. On pourrait y voir une sorte de guide touristique, de moyen simple pour le touriste perdu dans ce paysage tout neuf à reconnaître les lieux ! D'ailleurs il est aussi intéressant soudain de se rendre compte qu'une ville naissante a besoin de ce nominalisme comme si, ainsi titrés, les constructions et bâtiments trouvaient une légitimité ou, au moins, une familiarité nouvelle. L'alignement des noms, leur choix très largement tourné vers l'esprit maritime et balnéaire forment un poème assez drôle : les argonautes, les barbecues, le soleil levant, le centre commercial, les sirènes, les cabestans, la sardane, les totems. Sans aucun doute que Georges Perec et Jules Verne se seraient emparés de cette liste pour l'intégrer dans une intrigue littéraire. Mais l'autre particularité c'est bien que l'éditeur use d'un procédé normalement attribué aux correspondants eux-mêmes marquant au stylo-bille leur lieu de séjour. C'est bien un ready-made au sens premier du terme que nous avons sous les yeux. Ajoutons que cela, bien entendu, nous permet de percevoir les règles d'urbanisme de cette ville nouvelles ou les îlots sont posés les uns à côtés des autres, affichant chacun un design architectural différent, offrant encore des étendues vides, sortes de déserts entre les lotissements, des vides qui seront bien vite comblés par les promoteurs.


retrouvez ce lieu plus précisément ici : http://archipostalecarte.blogspot.fr/2013/07/pop-port.html

pour retrouver Georges Candilis, allez là : http://archipostalecarte.blogspot.fr/search?q=candilis



























Déjà historique, ce point de vue nous permet de voir des constructions depuis longtemps disparues, un état de la ville où elle était pionnière, où le vacancier devait avoir l'impression de voir naître un monde aujourd'hui toujours debout ou ignoré, voire méprisé comme si le premier âge de la ville de Port-Barcarès n'avait de toute façon comme vocation de n'être qu'un état éphémère.
On sera donc passé de d'écrire la carte postale à écrire la carte postale par elle-même. C'est je crois le signe d'un état de la civilisation.
Ouh la ! Cette conclusion est peut-être un peu ambitieuse !

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