mardi 6 octobre 2015

Jean Renaudie recadré

Lorsque Jean Renaudie entra dans l'agence, Jean-Michel fut heureux. Non pas tant d'avoir à travailler avec l'un des architectes les plus justes pour lui mais simplement parce que ce rendez-vous était aussi le passage de témoin à l'agence entre lui et son fils Momo.
En effet, Jean-Michel, dès qu'il avait eu l'architecte au téléphone pour la création d'une école à Cergy avait pensé que c'était avec ce projet qu'il pourrait abandonner toute responsabilité à son fils, le mettre enfin en autonomie totale. Le projet était d'ampleur mais pas trop vaste, il était aussi suffisamment particulier et original pour poser des questions structurelles importantes, difficultés qui avaient poussé Jean Renaudie à faire appel à l'agence qui avait déjà travaillé avec lui pour le centre E.D.F d'Orléans.





Cette école avait aussi une très grande originalité qui était un argument important pour que Momo y porte un intérêt plus serré et une curiosité qui était son moteur. Momo, malgré son jeune âge avait déjà démontré ses capacités de calculs, avait étonné tout le monde sur ses premiers chantiers et avait soulevé dans le cœur de son père une grande fierté lorsque sur un chantier, sans peur, sans reproche, il fit remarquer au chef de ce chantier et devant l'architecte que là, sur ce plan, il y avait bien une erreur. Jean-Michel avait alors repensé à son histoire avec Jean Prouvé.
Jean Renaudie posa sur la grande table les premières projections et les grands dessins d'une beauté colorée étonnante faits de grand coup de feutres de couleurs. Momo ne put retenir un wahou d'admiration ce qui fit sourire l'architecte car on avait peu l'habitude dans le milieu d'exprimer si simplement son admiration. Jean-Michel et Jean Renaudie s'amusèrent tous deux de cette franchise et pointèrent en même temps en se touchant presque les doigts sur le plan l'endroit de la difficulté que Momo et l'agence devait résoudre : l'articulation et la reprise de poids de la structure en octogone.
 - Oui, j'ai vu ça affirma d'emblée Momo mais il n'y a rien de compliqué, c'est une question surtout d'épaisseur.
 - Vous croyez ? Reprit Renaudie Qu'en pensez-vous Jean-Michel ?
 - Oh mais je laisse Mohamed voir ça avec vous ! Mais je crois qu'il voit juste.
 - Mohamed, vous pourriez donc calculer cela pour nous ? Reprit à son tour en se tournant vers le jeune homme Jean Renaudie.
 - Oui, sans problème. Je vous fais ça pour demain et...
 - Demain ? Si tôt ! l'architecte était abasourdi par une si grande rapidité.
 - Oui... Cela vous gêne ? rétorqua Momo qui n'avait pas compris que Renaudie était positivement étonné.
 - Je vous avais prévenu Jean ! Il est meilleur que moi ! Affirma Jean-Michel qui ne put tout de même pas s'empêcher de préciser que, peut-être il manquait les plans d'exécution pour faire certains calculs.
 - Oui, sans doute Papa, mais regarde bien, j'ai là toutes les cotes et les angles, donc je peux faire une projection tout seul et faire les calculs, il me faut deux après-midi tranquilles.
Jean-Michel et Renaudie restèrent à se regarder sans oser dire un mot.
Momo sans autre cérémonie s'assit à la table, sortit ses instruments et se mit immédiatement au travail ne faisant alors plus attention ni à l'architecte ni à son père. Ce dernier était toujours surpris de voir comment ce gamin pouvait aussi simplement dans le travail trouver une discipline alors que dans sa vie, il était insaisissable. Mais quand Momo s'asseyait ainsi, la tête en appui sur le dos de sa main, les pieds repliés sous le tabouret dans une position étrange, plus rien ne comptait et devant lui, comme pour Jean-Michel la machine cérébrale projetait les formes, faisait défiler les chiffres comme sur un écran. Seules certaines voix faisaient alors sortir Momo de sa réflexion ce qui impressionnait toujours les visiteurs tant il était capable dans ce moment d'oublier le monde autour de lui. Pourtant, soudain Momo arrêta tout, revint en quelque sorte au monde, il avait senti quelque chose tirer sur le bas de son pantalon. C'était le petit Alvar, caché sous la table depuis le début de la conversation qui tirait ainsi sur le vêtement de son père. Momo le souleva, le posa sur ses genoux et reprit immédiatement son travail. Renaudie quitta la maison, laissant ainsi ses plans à un jeune père et un enfant jouant avec les papiers dessinés d'une école à venir. Renaudie avait confiance.....................................
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C'est bien grâce à Momo et au travail effectué pour l'école des plants à Cergy quelques années plus tôt que Gilles put rencontrer et faire le film sur Jean Renaudie. Le projet devait être réalisé pour TF1. Gilles, depuis peu, faisait en plus de la photographie des films pour la télévision ou les documentaires scolaires. Il aimait ainsi avec les architectes construire des plans, des travelling, discuter de ce que l'architecte désirait porter comme image idéale de son architecture. Il aimait aussi, à son tour, trouver des angles et surprendre l'architecte mais aussi parfois déjouer les pièges d'une image que les architectes aimaient toujours maîtriser.




Là, dans la rue d'Ivry-sur-Seine, pendant que son collègue Patrick Guis discutait avec Jean Renaudie, Gilles le cadra et prit un cliché de l'architecte devant sa fameuse réalisation d'Ivry-sur-Seine. Dans le laboratoire, alors qu'il effectuait le tirage de cette photographie et que le visage souriant et échevelé de l'architecte apparaissait un peu en amont de son architecture restée plus blanche, plus douce derrière lui, Gilles expliquait à Alvar qui venait d'avoir 12 ans comment la chimie de la photographie pouvait révéler ainsi des images. Le garçon trouvait ça magique et disait toutes les cinq minutes à son oncle "c'est magique" "c'est magique" et, chaque fois, avec beaucoup de patience, Gilles répondait à son neveu que c'était bien plus chimique que magique.
 - Il a une drôle de trombine ton bonhomme dit Alvar à son oncle
 - Ah, tu trouves ?
 - Ba oui, il a une veste bizarre et une cravate qui vont pas ensemble.
 - Oui Alvar c'est vrai mais que penses-tu de ce qui se passe derrière lui ?
 - Les immeubles ? Ba, ils sont bizarres aussi, c'est tout déchiqueté.
 - Oui ! C'est ça ! T'as bien vu. Tu sais, on pourrait aller les voir pour de vrai cet après-midi.
 - Ba non, Tonton ! Je dois rentrer qu'il a dit papa, pas plus tard que le goûter.
 - Je me charge de ton père, veux-tu y aller avec moi ? On prend le métro et on y va !
 - Ça a pas l'air si marrant que ça ton truc à voir.
 - Mais si, tu verras, regarde, on peut monter dedans par les jardins, il y a plein de terrasses et si tu veux on peut même voir si Monsieur Renaudie est à son bureau.
 - C'est qui ton Rebaudie ?
 - Re Nau Die, Jean Renaudie ! C'est le monsieur dont on vient de tirer le portrait et qui a fait l'architecture !
 - Ah ba dis donc, il doit être bizarre.
 - Tout est bizarre avec toi Alvar ! Alors ? On y va ?



En rallumant la lumière du studio, Gilles regarda à nouveau le visage de Jean Renaudie baignant et flottant doucement dans le bac de rinçage des tirages. Des reflets brillants donnaient quelque chose de maritime à cette photographie en noir et blanc. Gilles trouva son tirage un peu trop doux, peu contrasté et il aurait aimé une image plus ferme, plus tenue, plus dure. Non pas pour le visage de l'architecte mais au moins pour son architecture.
Gilles entendit alors Alvar parler au téléphone que pourtant, il avait l'interdiction de toucher :
 - Oui, c'est Tonton Gilles qui a eu l'idée..... Non pas trop tard... oui... D'accord je lui dirai... Oui... À ce soir.
En raccrochant le combiné, Alvar se tourna vers son oncle Gilles et lui demanda tout d'un coup :
 - Ba alors ? t'es pas prêt ? Papa dit que t'as qu'à manger avec nous ce soir en me ramenant.
 - Ok ! Attends, je prends mon appareil photo et on y va........................................................................
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 - Quelle édition désirez-vous ?
Cette question laissa Alvar hésitant. Il était là, debout, avec à sa gauche son copain de promotion Mickael, dans la bibliothèque de l'école d'architecture et il n'avait pas songé une seconde qu'il pouvait y avoir deux éditions différentes de ce Guide de l'architecture contemporaine en France de Dominique Amouroux.
 - Est-ce possible d'avoir les deux ? rétorqua immédiatement Mickael qui avait compris le doute de son camarade Alvar.
 - Bien sûr rétorqua immédiatement la bibliothécaire en remontant sur son nez ses lunettes. Je vous les apporte de suite, installez-vous.
Alvar et Mickael choisirent une table un peu au hasard, celle qui avait sa surface découpée en deux par un rai de lumière et ils attendirent.
 - Tu vas voir, j'ai vu ce guide chez mon grand-père et aussi chez mon oncle. Ce qu'on pourrait faire comme sujet pour la socio c'est de choisir de retourner sur des lieux et de voir ce qu'ils sont devenus, tu vois ?
 - Oui, je trouve marrant mais on ne pourra pas faire tous les lieux Alvar ! Et puis moi, ça m'emmerde toujours de devoir interroger les gens.
 - Ba là tu pousses un peu ! Je me démène pour trouver un sujet sympa et tu trouves encore à redire. Et puis parler aux gens, faudra bien que t'y passes pour faire de l'architecture !
 - Oh toi, t'es tellement ouvert ! Tu parles comme le prof. Moi ce qui m'intéresse c'est la structure et le dessin, les gens moi je m'en fous. Si c'est bien conçu, les gens ils sont contents et...
Mickael n'eut pas le temps de finir sa tirade que la bibliothécaire lui indiqua qu'il fallait parler moins fort et posa sur la table les deux exemplaires du guide de Dominique Amouroux.
 - Tiens regarde dans celui-là, moi je regarde celui là affirma Alvar.
Le silence se fit pendant quelques minutes. Les deux jeunes, un peu en retrait sur leur chaises regardaient  nonchalamment les deux volumes. De temps en temps, Mickael donnait un coup de coude lorsqu'il jugeait qu'une étudiante méritait l'attention d'Alvar.
 - Ils sont pareils non les deux guides ?
 - Ba, je sais pas, répondit Mickael. Tiens, comparons. Tu voulais aller voir du Renaudie non ? Eh bien regarde si on a deux pages pareilles sur Renaudie.
 - Moi j'ai page 359, Pontoise-Cergy, écoles primaire et maternelle.
 - Moi j'ai page... 357 ! Pontoise-Cergy, pareil écoles primaire et maternelle, mais regarde Mickael la photo est différente.
 - Oui sur la mienne c'est en construction. L'année c'est 1972 pour mon édition et pour toi ?
 - Pour moi c'est 74, Putain j'avais 7 ans. Tu sais mon père a travaillé sur ce bâtiment. Il a...
 - Oui... il a fait les calculs de structure avec Renaudie. Tu me la racontes toujours celle-là Alvar et ton père aussi. La dernière fois que je suis allé chez toi, il m'en a parlé et il m'a même montré les plans.
 - Ba, cela avait pas l'air de te déplaire ! Toi qui aimes les structures !
 - C'est vrai, j'avoue. Et si on allait là, voir ce que c'est devenu. On a tous les documents, tu pourrais interviewer ton père et on pourrait aussi raconter l'histoire de l'archi avec les nouveaux modes d'enseignement après 68 ?
 - Oh ba là, si on parle de 68, le prof de socio il sera aux anges !







 

Par ordre d'apparition : 
 - Carte postale Abeille-Cartes pour Lyna, Cergy, Quartier des Plants-École des plants. Pas de date, pas de nom de photographe ni d'architecte.
 - Document photographique, archives TF1 ou Patrick Guis.
 - Guide d'architecture contemporaine en France
Amouroux, Crettol et Monnet
Technic-Union 1972 et 1974.


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